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ne sont pas absolument respectées : tant s’en faut, et, d’après les multiples contraventions que dressent les inspecteurs du travail, on peut juger de toutes les infractions qui sont commises et ne sont pas découvertes. Les patrons gardent toujours leurs ouvrières au-delà du temps légal ; le travail de nuit, la veillée, existe toujours, et les parens sont les premiers souvent à envoyer travailler leurs enfans avant l’âge imposé.

L’organisation professionnelle donne aux femmes la possibilité de défendre leurs intérêts. Cependant, elles répugnent encore, pour la plupart, à se grouper en syndicats : sur six millions et demi de travailleuses, il n’y a guère que 90 000 syndiquées, soit 3 femmes sur 200. Ce qu’il faut constater par exemple, c’est que ces syndiquées sont presque toutes des catholiques ; nous verrons tout à l’heure comment, à Lyon, Mlle Rochebillard a créé les syndicats d’ouvrières, et comment, à Paris, Mme la comtesse Jean de Castellane, après Mme Henri Lorin, tâche de favoriser le développement des associations professionnelles de femmes. Avant que fussent constitués des syndicats uniquement composés d’ouvrières, les dames patronnesses des cercles catholiques avaient en 1892 réuni dans une même association patronnes et ouvrières de l’aiguille, couturières et modistes. C’est le syndicat fameux qu’on appelle l’Aiguille, et que M. Millerand, ministre du Commerce, consulta officiellement sur la réglementation des heures de travail. La marquise de Saint-Chamans, la marquise de la Tour du Pin, la comtesse de Biron furent parmi les fondatrices les plus actives ; un jésuite, dont le nom est célèbre, le Père du Lac, aujourd’hui l’abbé du Lac, fut et demeure la pensée sans cesse agissante de ce syndicat, qu’il a conçu et organisé, mais dont il ne peut faire partie, car il n’est pas de la profession. L’Aiguille, à la fin de 1892, comptait 241 membres, dont 70 patronnes ; elle en compte à cette heure 1200 ; elle est administrée par un conseil syndical mixte, qui comprend 6 patronnes, 6 employées[1], 6 ouvrières, dites fondatrices, qui conservent les traditions, se recrutent elles-mêmes par un renouvellement triennal et sont d’ailleurs rééligibles ; puis 6 patronnes, 6 employées, 6 ouvrières, élues celles-là pour une année en assemblée

  1. L’employée est payée au mois.