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reçoit d’un magasin, et en quantité, un certain travail qu’elle doit faire exécuter. Mais l’entrepreneuse réalise sur chaque ouvrière un bénéfice, minime parfois, exagéré trop souvent, et qui ne profite qu’à une seule, tandis qu’une coopérative ou association de production répartirait le produit dudit bénéfice entre tous les membres adhérens.

Si l’on consulte une liste de travaux donnés par les entrepreneurs, soit à Paris, soit à Lyon, les salaires des femmes font frémir. Dans ces conditions, il est impossible qu’une femme ou une jeune fille honnête arrivent seules à équilibrer leur budget. C’est donc question de justice et de moralité que de défendre les salaires des femmes. Il faut aller plus loin, et dire que nul de ceux qui le peuvent n’a le droit de s’abstenir. On s’est déjà demandé comment on parviendra à remédier à cette méthode de travail. Et, après avoir bien réfléchi, voilà que maintenant Mlle Rochebillard envisage nettement, dans ses syndicats, la possibilité de créer, parmi les ouvriers, une ou deux sociétés de production ; ces sociétés pourraient renforcer directement le salaire du travail des ouvrières sans demander au patron d’augmentation de prix, mais en empêchant une déperdition du côté de l’entrepreneuse, qui n’est qu’un intermédiaire. Or, il est certain que, si l’idée syndicale était bien comprise des patrons et des ouvriers, on n’aurait pas à enregistrer les salaires dont il est parlé plus haut, et les groupemens professionnels rendraient de véritables services en servant d’intermédiaires entre employeurs et employés. En fin de compte l’intérêt général s’accorde ici avec l’intérêt individuel, grâce à une organisation bien entendue, et c’est dans ce sens que Mlle Rochebillard veut diriger l’action syndicale féminine. D’autre part, dans le peuple, on s’imagine trop aisément que les grandes fortunes des patrons sont le fruit d’une rapine plus ou moins déguisée. À l’encontre de ce préjugé trop exploité par les socialistes, il est bon et utile de penser et de démontrer que l’esprit d’initiative, de persévérance, d’énergie, d’union, peut suffire à l’établissement d’une organisation ouvrière, tout aussi bien que pour la formation de la fortune individuelle. Les travailleuses peuvent, si elles le veulent, améliorer leur situation ; l’essentiel est de s’organiser, et, une fois les coopératives de travail bien déterminées, il n’est pas un patron qui refuserait de traiter avec elles. Le chef de service, si puissant dans les grandes maisons de fabrication, aurait,