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spécialement, la fondation et le développement de syndicats semblables. Ainsi, les syndicats se multipliant, on pourrait les unir tous en une fédération d’autant plus puissante qu’elle comprendrait plus d’élémens.

J’ai longtemps habité la province. À chaque saison, ma famille recevait les catalogues des grands magasins et envoyait par la poste ses commandes. Souvent mes jeunes sœurs, pour s’amuser, écrivaient une ou deux lettres de réclamation, ou retournaient les objets sous prétexte qu’ils déplaisaient. Dans la ville, tout le monde agissait ainsi et sans penser à mal : l’arrivée des catalogues était une des distractions de l’année. Personne ne se doutait qu’une lettre de réclamation entraînait peut-être la mise à pied d’un commis, ni quel tort sérieux occasionnait à d’autres employées le renvoi des marchandises, en supprimant la « guelte » qu’elles croyaient avoir réalisée. Les acheteurs de Paris ne se préoccupent pas davantage des employées ou des employés qui les servent. Que de femmes commodément assises à un rayon examinent des étoffes, des dentelles, des soies, ou essayent chapeaux et manteaux, et s’en vont sans rien acheter, insoucieuses d’avoir fait perdre à la jeune vendeuse et du temps et de l’argent ! Que de femmes s’impatientent si elles doivent attendre, et s’en prennent à la jeune fille qui, interpellée par plusieurs clientes à la fois, et fatiguée, ne sait où donner de la tête ! Que d’hommes aussi se plaignent tout haut, s’ils ne sont pas servis tout de suite, plaintes qu’entend et note un inspecteur, pour sévir plus tard ! Et quel acheteur ou quelle acheteuse songe à plaindre ces jeunes filles et ces jeunes gens enfermés dans des magasins étouffans, toujours debout, — car, malgré la loi récente qui leur permet de s’asseoir, ils n’en ont pas le loisir, — pressés, bousculés, obligés de tout entendre, de tout supporter, de tout se rappeler, et, si las qu’ils soient, d’être toujours aimables, toujours prévenans, de toujours sourire ! Et quel acheteur ou quelle acheteuse, enchanté d’avoir payé un objet un prix dérisoire, d’avoir trouvé « une occasion, » se demande quel salaire de famine a reçu l’ouvrière qui a confectionné cet objet ?

En 1890, raconte Mme Jean Brunhes, quelques femmes de New-York, qui s’inquiétaient de leurs devoirs d’acheteuses,