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à la médiocrité et à la bassesse triomphante de ceux qui sont devenus quelque chose, que j’ai résolu de prendre ici mon quartier d’hiver. J’ai fait venir des livres. De temps à autre un véritable ami se souvient par hasard que je suis au monde et vient passer quelques jours avec moi. Ma santé est sensiblement améliorée. Je suis guéri de la maladie, mais souffre encore de l’effet des remèdes qui m’ont mis les nerfs de l’estomac dans un désordre dont ceux-ci ont de la peine à se remettre. Mme de Tocqueville est bien rétablie. Il ne me manque enfin pour être réellement heureux que de faire de meilleure besogne. Je suis effrayé et attristé du peu qu’ont produit ces quatre derniers mois. L’horizon s’étend à mesure que je marche et quoique très certain de renfermer l’œuvre dans de certaines limites assez peu étendues, je ne suis pas aussi sûr de savoir me borner dans les études préparatoires.

Je conçois que vous désiriez maintenant quitter Berne. Je le souhaite aussi très ardemment pour vous ; le temps écoulé et les services déjà rendus devraient vous faciliter ce changement. Mais il n’y avait rien de plus livré au bon plaisir que la destinée des diplomates, même dans le temps où presque rien n’était livré au bon plaisir. Qu’est-ce que cela doit être aujourd’hui !

Adieu, mon cher ami. Rappelez-nous très particulièrement au souvenir de Mme de Gobineau quand vous lui écrirez et croyez toujours à ma vive et sincère amitié.

A. DE TOCQUEVILLE.


Saint-Cyr près Tours, le 17 novembre 1853.

J’ai toutes sortes de pardons à vous demander, mon cher ami, d’abord pour ne vous avoir pas écrit aussitôt après vous avoir lu, et ensuite pour avoir laissé pendant dix ou douze jours, bien malgré moi, votre dernière lettre sans réponse. Quant au premier méfait, il a été amené par une sorte d’embarras que causait à mon esprit la lecture de votre ouvrage et l’embrouillement où j’étais au milieu des critiques et des louanges que j’avais à vous adresser. Quant à mon silence depuis quinze jours, il a été nécessité par l’obligation de lire rapidement des livres empruntés aux bibliothèques de Paris et qu’on réclamait. Maintenant, venons au fait : j’agirai autrement que la plupart des gens, je commencerai avec vous par les critiques. Elles portent