Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
POÉSIE


MAUVAISES SEMAILLES


A quoi pensez-vous donc, ô lâches Destinées,
De nous jeter en bloc sur un coin d’univers,
Pêle-mêle, chétifs ou forts, bons ou pervers,
Beaux ou laids, tous traînant des âmes étonnées
Qu’il faille vivre ensemble et rester si divers ?

Vous serez donc toujours les semeuses brutales
Qui, sans trier le grain ni choisir la saison,
Par l’espace, au hasard, secouez vos mains pâles,
Vos folles mains, d’où tombe, à travers les rafales,
Plus d’un germe caduc avant sa floraison !

Non, tous n’étaient pas faits, cœurs simples ou génies,
Pour naître à la même heure et dans les mêmes lieux ;
Tel qui s’éteint, chez nous, sur un lit d’agonies,
Aurait, en d’autres temps, trouvé, sous d’autres cieux,
Pour y grandir à l’aise, un monde harmonieux.

Ce siècle est grand, dit-on, où l’on s’affole à suivre,
En des odeurs d’usine et cliquetis du fer,
La Science qui tue autant qu’elle fait vivre :
Son agitation orgueilleuse l’enivre.
Que de damnés encor râlent dans cet enfer !