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Temps heureux, trop heureux pour les hommes de proie,
Pour les prêcheurs de haine aux peuples haletans,
Rhéteurs, pédans, bouffons, fils et filles de joie,
Vendeurs de fausse gloire et vendeurs d’orviétans !
La foire étourdissante a trop de charlatans.

Que faire ici pour l’être humble et doux, droit, sincère,
Naïvement fidèle aux antiques fiertés,
Dans ce bruyant bastringue où loges et parterre,
Pour la délation, la fraude et l’adultère,
Unissent les bravos de leurs complicités ?

Notre plus sûr progrès est le progrès des crimes,
Des angoisses de l’âme et des vices du corps ;
Jamais on n’a tant vu de piteuses victimes
Implorer le néant par dégoût de leurs sorts
Et s’enfuir, sans regret du soleil, vers les morts.

Siècles anciens, maudits par nos dédains frivoles,
Jours de force et de foi, jours d’espoirs, étiez-vous
Si peuplés d’intrigans, de coquins et de fous ?
Le Passé glorieux garde ses auréoles :
Nos pères ont connu plus de bonheurs que nous.

Dans quelque île d’Asie où le frisson des palmes
Mêle au rire des flots ses rythmes caressans
Et berce, pour l’Ida voisin, des dieux naissans,
N’auriez-vous pas chanté, sous l’azur des cieux calmes,
De moins troubles amours, plaintifs adolescens ?

Athène où de l’air pur jaillit, chaste et guerrière,
La Pensée invincible, une lance à la main,
Frayant à l’homme libre un radieux chemin,
Du regret de n’avoir pu boire à ta lumière
J’en sais de morts hier ou qui mourront demain !

Silence extasié des hautes solitudes,
Où, près d’un livre ouvert et d’une pauvre croix,
Dans un recueillement de prière et d’études,
Les premiers fils du Christ écoutaient, sous les bois,
L’écho, fidèle encore, et proche, de sa voix ;