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Vains regrets, vains rappels, stériles nostalgies
De vertus dont le calme ou l’élan nous font peur,
Si, lâches spectateurs des modernes orgies,
Nous n’avions, pour renaître aux saines énergies,
Que la plainte égoïste et le rêve trompeur !

Mais cette voix des morts si vivans sous leur cendre,
La seule voix sincère et franche, cette voix
Que tous nos histrions ne voudraient pas entendre,
Elle éclate, elle monte, harmonieuse et tendre,
De tous les temps, de tous les pays à la fois !

Elle nous dit : « Pour l’homme autant que pour les choses,
Le cours est inégal des changeantes saisons,
Et les peuples, soumis à leurs métamorphoses,
Expient toujours le bref enchantement des roses
Par de longs deuils d’hivers neigeant sur les gazons.

Même aux rares instans d’accalmie, où l’Histoire,
Sous d’équitables lois et de sages pasteurs,
Les a vus, mieux unis que nous, en paix et gloire,
Sans trouble à leurs foyers, poursuivre leurs labeurs,
D’inévitables maux leur ont tiré des pleurs.

Il fut, comme il sera, toujours, des créatures
Trop bonnes pour subir sans d’intimes tortures
Les chocs, durs et confus, de l’éternel conflit
Où l’âme humaine, abandonnée aux aventures,
Meurt sans cesse et renaît, s’exalte et s’avilit.

Leurs yeux, trop haut fixés sur un divin mirage,
Font trébucher leurs pieds aux cailloux du chemin ;
Le passant les rudoie, et l’enfant les outrage :
Leur patience est douce et sait qu’après l’orage
L’astre prévu luira pour tous, luira demain.

Nobles esprits, grands cœurs mal tombés dans la vie,
Grains de froment perdus parmi le sable ingrat,
Voyez de quelle ardeur résiste et se débat
La plus chétive plante et la plus mal servie
Pour reprendre au soleil son poste de combat !