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Majestueuse paix des enceintes sacrées,
Seuls murs qui défendiez contre les flots hurleurs
Du barbare stupide et des rois batailleurs
L’essaim laborieux des foules rassurées
Pour le présent sur terre, et l’avenir, ailleurs ;

N’est-il donc plus de saints, éprouvés ou novices,
Déshérités du monde ou lassés de ses vices,
A qui les deuils cuisans, leurs saignantes bontés,
Ont endossé déjà d’invisibles cilices,
Qui reprendraient courage en vos austérités ?

Que de héros muets, fils de nos épopées,
Dont le sang coulerait gaîment sous les épées
Pour les vaincus d’hier et le droit endormi,
Rongent, en frémissant, leurs mains inoccupées
Aux échos de Rocroy, de Bouvine et Valmy !

Que de savans, que de penseurs, que de poètes,
Martyrs de l’idéal et de la vérité,
Peintres, sculpteurs, en proie au mal de la beauté,
Succomberaient à leurs misères inquiètes,
S’ils ne trouvaient refuge au vieux monde enchanté !

Leur corps seul reste ici, leur âme est envolée,
Elle s’enivre enfin d’extase ou de raison :
Tandis qu’un s’agenouille à Rome en oraison,
L’autre, dans l’air toscan, suit Dante ou Galilée
Interrogeant l’étoile éclose à l’horizon.

Des lointains souvenirs et des vieilles murailles
Que chaque âge, à son tour, imprégna de clartés,
Sort partout la douceur des longues vérités :
Nos gloires, par Louis, rayonnent à Versailles,
Comme par Mirabeau nos jeunes libertés.

Chacun dans le passé retrouve une patrie,
Des frères oubliés qui, jaillis du tombeau,
Lui tendent leur bras ferme et l’arment d’un flambeau
Pour qu’il s’évade enfin d’une prison flétrie
Et s’élance, avec eux, par le Bien, vers le Beau.