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La place nous manque pour parler de la révolution qui vient de se produire en Corée : elle n’est d’ailleurs intéressante qu’au point de vue anecdotique. La manière dont l’empereur Yi-Hyeung a été amené à donner sa démission est un trait des mœurs politiques de l’Extrême-Orient. Le Japon était déjà, en réalité, le maître en Corée, et il aurait pu, semble-t-il, sans inconvénient, respecter un peu plus longtemps la fiction de souveraineté que l’Empereur représentait ; mais il ne l’a pas voulu, ou, du moins, il a voulu qu’un nouvel empereur représentât cette fiction d’une manière plus faible encore et plus avilie. Il lui a imposé un traité de protectorat qui ne lui laisse plus la moindre autorité.

Son grief contre Yi-Hyeung est que le malheureux avait cru adroit d’envoyer sournoisement une délégation à la Conférence de La Haye. On a vu dans cette démarche, et il y avait en effet une tentative d’indépendance : c’est ce que le Japon n’a pas pu supporter. En vain Yi-Hyeung a-t-il protesté qu’il n’était pour rien dans l’affaire : on ne l’a pas cru, et le fait était, avouons-le, peu croyable. Quoi qu’il en soit, les ministres coréens, qui sont tous dans la main du Japon, ont conseillé à l’Empereur d’abdiquer et, après avoir consulté les Anciens, il a dû s’y résoudre, non sans une protestation sourde qui correspond d’ailleurs au sentiment de ses sujets. Le marquis Ito, résident japonais, a feint d’assister impassible à cette comédie dont il tenait secrètement tous les fils. Il y a eu à Séoul des révoltes partielles, soit dans l’armée, soit dans la population. Il a fallu faire venir à la hâte des secours japonais. On en fera venir tant qu’il faudra, et force restera au Japon. Si les Coréens sont sujets à des explosions de colère soudaines et impuissantes, ils sont impropres à toute action politique soutenue : de là leur infortune. La marche de la politique japonaise à leur égard a été, au contraire, froidement calculée, logique, implacable. Le protectorat japonais sur la Corée n’est plus qu’une ombre vaine : la domination pure et simple est le fait réel. Mais ce fait n’existait-il pas déjà ? Il devient seulement plus apparent. L’imprudence de l’Empereur a servi de prétexte et l’événement inévitable s’est accompli.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.