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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/738

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paraît confirmer le succès de son œuvre dans le présent et lui permet de concevoir des espérances pour l’avenir. Il n’y a pas besoin de chercher ailleurs les raisons qui poussaient les écrivains vers l’Académie.

Quoi qu’il en soit de celles qu’allèguent Chamfort et ses amis, une chose est indubitable, c’est que les plaisanteries que l’on continuait à débiter sur elle n’en ont dégoûté personne. Jusqu’à la fin, on l’a regardée comme une distinction très désirable qui donnait à un écrivain un rang particulier parmi ses confrères. Il semble même qu’à mesure qu’on avance dans la seconde moitié du siècle, l’estime qu’on fait d’elle augmente. Elle s’était obstinée longtemps à s’opposer aux idées nouvelles, et sa popularité en avait souffert ; mais l’élection de Voltaire, en 1746, la raccommoda avec le parti philosophique, qui était en train de faire la conquête de la France. Dès lors, l’Académie semble prendre la tête du mouvement. Il y règne un esprit d’indépendance, presque de révolte, auquel les têtes les plus sages, et qui semblent à l’abri de toutes les témérités, ne résistent pas. Marmontel, un timide, qui manqua mourir de peur à la Révolution, se laisse aller à écrire le quinzième chapitre de Bélisaire, qui le met aux prises avec la Sorbonne ; Thomas, le plus doux des hommes, élève pieux d’un séminaire, trouve, dans son éloge de Sully, des accens révolutionnaires pour attaquer les gabelles, les corvées, la taille, tout le système financier du passé, et se fait applaudir d’un public enthousiaste. Les choses allèrent si loin qu’à la fin l’autorité se fâcha, et que le chancelier Maupeou, qui ne répugnait pas aux coups de force, fui, dit-on, sur le point de supprimer l’Académie, qu’il trouvait trop républicaine. Elle ne tint pas compte de ces menaces, que le sort des parlemens rendait redoutables, et ne devint pas plus réservée. Elle prit part à l’explosion de joie et d’espérance qu’amena l’avènement de Louis XVI. Son directeur, l’historien Gaillard, s’adressant au jeune roi, dans la cérémonie du sacre, lui traça presque un plan de gouvernement : « Votre cœur, lui disait-il, vous dira qu’une guerre nécessaire est un fléau, qu’une guerre inutile est un crime ; que les deux plus funestes ennemis de la religion, après l’impiété qui l’outrage, sont l’intolérance qui la ferait haïr, et la superstition qui la ferait mépriser ; qu’un roi doit à ses peuples la justice, et des juges dignes de la rendre, et des ministres nommés par la voix publique ; qu’enfin il doit aux Lettres