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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/754

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L’Académie française en avait bien le sentiment ; elle continuait néanmoins à se réunir au Louvre le lundi, le jeudi et le samedi, et au début de chaque trimestre, elle tirait au sort, selon l’usage, le directeur et le chancelier. Les assistans étaient peu nombreux. C’étaient en général des gens de lettres d’un caractère inoffensif, et qui ne s’étant pas mêlés à la politique semblaient n’avoir rien à craindre : l’érudit Bréquigny, qui avait toujours vécu dans l’étude des chartes du moyen âge et du vieux français, Ducis, l’abbé Delille, Sedaine, d’une origine fort peu aristocratique, puisqu’il avait commencé par être tailleur de pierres, le bon Florian, que tout le monde aimait, et auquel on ne reprochait que de n’avoir pas mis de loup dans ses bergeries, ce qui ne l’empêcha pas d’être enfermé à la Bourbe, qu’on appelait Port-libre, jusqu’au 9 thermidor, et d’y contracter une maladie qui l’emporta deux mois après qu’il en fut sorti ; c’étaient aussi quelquefois Saint-Lambert, La Harpe, Barthélémy et quelques autres. Que faisait-on dans ces réunions ? Les Registres n’en disent rien, mais on peut le supposer. D’abord, de temps en temps, par habitude, un peu de dictionnaire. La nouvelle édition, commencée en 1763, et à laquelle Duclos, d’Alembert, Beauzée avaient travaillé, était finie. On en revoyait les premières lettres et déjà l’impression en était commencée. Il est probable qu’on y revenait, quand on ne savait que faire. Mais on peut croire que d’ordinaire il était question de bien d’autres choses On devait s’occuper beaucoup des terribles événemens qu’on traversait. Je suppose qu’au commencement de l’année 1793 on suivait avec une poignante anxiété les péripéties du procès du Roi. Nous lisons, sur nos Registres, cette sinistre mention : « Nota : le 21 janvier, il ne s’est présenté personne. » De temps en temps on transcrit pieusement la mention de quelque perte que l’Académie a faite : celle de Séguier, qui meurt en émigration, celle de Lemierre, le poète tragique, celle du maréchal de Beauvau, qui n’a pas consenti à quitter la France et qui est le seul des grands seigneurs qui n’ait pas déserté l’Académie ; il y siégeait encore le 25 avril 1793, un mois avant de mourir au Val, près de Saint-Germain. Le 1er juillet, on renouvela le bureau, selon l’usage ; Morellet fut nommé directeur, Vicq d’Azyr chancelier. Vicq d’Azyr ne parut pas ; il redoutait les suites que pouvait avoir pour lui l’amitié de la Reine, dont il était le médecin, et l’on dit qu’il mourut de peur le mois suivant. Morellet