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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/814

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et sans s’être informée de ce qu’il lui faudrait croire en devenant catholique. On lui fournit les moyens de satisfaire le monde ; elle n’en demanda pas davantage.

Charles-Louis avait sous la main l’un de ces Français, commis voyageurs en bel esprit, que les princes allemands attachaient à leur cour pour avoir quelqu’un qui sût causer. Il se nommait Urbain Chevreau[1]et venait de Hanovre, où il était resté cinq ans. La duchesse Sophie l’avait recommandé à son frère comme ayant beaucoup d’esprit et ne coûtant pas cher : 500 écus, la table et le logement, et l’entretien d’un valet. Très laid, par-dessus le marché : « Quant à votre sérail, il n’y réussirait pas par ses charmes, car il est plus laid qu’Esope. » De « l’étude » et de « la solidité : » — « Il prétend se connaître en médailles et en peintures ; il a fait un abrégé de la vie des douze empereurs, dans lequel il dit tout ce que tous les auteurs ensemble en ont dit ; je ne l’ai point vu, mais lui-même l’admire fort[2]. » Pour couronner le tout, pas dévot ; un esprit très libre. Sur ces renseignemens, Charles-Louis avait pris Chevreau, et ce fut à lui qu’il confia le soin de convertir dans le plus grand mystère la future Duchesse d’Orléans : « J’y employai, rapporte Chevreau[3], dix-huit ou vingt jours, quatre heures par jour, sans qu’aucun en pût former le moindre soupçon. Et quand Mme la princesse Electorale n’eut plus de scrupule ni de doute à m’opposer, j’écrivis en France à Mme la princesse Palatine et lui envoyai une copie de l’abjuration. » Liselotte s’était laissé escamoter son protestantisme en esprit libre, auquel peu importe l’étiquette, puisqu’il n’y a rien dessous.


II

Débarrassée de la seule pierre d’achoppement sérieuse, Anne de Gonzague pressa son beau-frère d’en finir avec le contrat. On l’avait dressé à Paris d’après celui de la première Madame, mais il y manquait le chiffre de la dot de la future, et Charles-Louis s’obstinait à ne pas le donner, comme s’il espérait y gagner. La Palatine eut beau lui affirmer que Monsieur l’acceptait d’avance,

  1. Urbain Chevreau, né à Loudun en 1613, mort en 1701, passa une partie de sa vie à aller de cour en cour. Il a beaucoup écrit ; tous ses ouvrages sont oubliés.
  2. Lettres à Charles-Louis, du 18 février 1671 et du 5 novembre 1670.
  3. Chevrœana.