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de Naples, — Cosnac s’avançait peut-être beaucoup, — mais Monsieur découvrit que le Vésuve est près de Naples et recula sans vergogne, saisi d’une peur d’enfant. Cosnac commençait à perdre courage ; ce fut Louis XIV qui vint à la rescousse, sans le savoir ni le vouloir.

Au printemps de 1667, le Roi s’avisa soudain, pour la première fois, d’emmener son frère à la guerre[1]. On n’aurait jamais deviné que c’était la vocation de Monsieur. Les troupes qui assiégeaient Tournay se rendirent à l’évidence avec une surprise joyeuse, en apercevant le prince dans tous les endroits dangereux, son aumônier trottant sur ses talons. Les officiers lui faisaient cortège. On ne parlait au camp que de ce jeune héros, qui se révélait soudain digne petit-fils du grand Henri IV. On en parla tant, qu’on oublia de parler du Roi, qui le remarqua et se répandit en mots amers. La campagne finie, Cosnac ne tarda guère à apprendre que Monsieur lui ordonnait de vendre sa charge d’aumônier et de se retirer dans son diocèse. Il s’y était un peu attendu.

Après cette bouffée d’héroïsme, Monsieur retomba dans les puérilités qui formaient le tissu ordinaire d’une vie inutile entre toutes. Il était l’arbitre des élégances et l’organisateur des plaisirs. Le royaume n’avait pas de plus grande commère. On le méprisait, mais on le recherchait, parce qu’il était l’âme de la cour : « Quand il la quittait, dit Saint-Simon, tout y semblait sans vie et sans action[2]. » Il était même assez aimé ; il avait de l’esprit naturel, il savait être aimable, il était bonhomme quand sa camarilla ne s’en mêlait pas, et, s’il était trop somptueux pour notre goût de citoyens d’une démocratie, il en fallait comme cela dans les monarchies du vieux temps. Sa campagne de 1667 l’avait d’ailleurs relevé dans l’opinion publique. Le pays savait maintenant qu’on avait gâté à plaisir, par raison d’Etat, un naturel où il y avait du bon. La princesse Liselotte répétait volontiers, sur ses vieux jours, qu’elle avait été « l’agneau politique » offert en holocauste sur l’autel de la patrie. Combien plus Monsieur aurait-il eu le droit d’en dire autant de lui-même ! S’ils avaient compris qu’ils étaient deux sacrifiés, la

  1. La guerre dite de la Dévolution. Le beau-père de Louis XIV, Philippe IV d’Espagne, venait de mourir, et le Roi en profitait pour réclamer au nom de sa femme certaines parties des Pays-Bas.
  2. Mémoires, grande édition, in-8o, VIII, 333.