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partout où il en pouvait mettre, plein de toutes sortes de parfums, et, en toutes choses, la propreté même. On l’accusait de mettre imperceptiblement du rouge. Le nez fort long, la bouche et les yeux beaux, le visage plein mais fort long[1]. »

Il n’était pas méchant ; il aurait été incapable, ainsi que l’avait écrit la Palatine à Charles-Louis, de tremper dans un empoisonnement[2] ; mais une éducation trop politique en avait fait l’un de ces êtres dont le seul nom éveille des sourires. Sa mère et Mazarin l’avaient élevé en fille, de peur qu’il ne fût un jour pour Louis XIV un cadet brouillon et dangereux, et fille il était devenu, à ne plus pouvoir reprendre son sexe. La toilette fut son occupation sérieuse. Le frère du Roi éprouva les plus grandes émotions de sa jeunesse devant un miroir, à essayer une coiffure nouvelle, à se pomponner, se farder, se parer de bijoux de femme, trop heureux quand il avait un prétexte d’y joindre des jupes et de montrer son cou blanc. Ne pas être mis à son avantage était pour lui un vrai chagrin, être surpris en bonnet de nuit un vrai malheur. Il évitait de monter à cheval de peur de se gâter le teint. Son bonheur était de causer chiffons en croquant des bonbons, ou de jouer aux petits jeux avec d’autres jeunes filles. Louis XIV et Napoléon ont aussi joué à colin-maillard ou à cache-cache avec les dames ; seulement, ils ne faisaient pas que cela. Monsieur ne fit pas autre chose jusqu’à son mariage avec Henriette d’Angleterre, en 1661, ni dans les années qui suivirent. Par surcroît, il avait roulé dans le vice, ce qui lui valait d’être exploité et tyrannisé par une bande d’individus immondes, et il finissait, sous la coupe de ces drôles, par devenir malfaisant à force de faiblesse. Les ravages d’une éducation honteuse paraissaient sans remède quand son aumônier, Daniel de Cosnac, évêque de Valence, entreprit de le tirer de cette fange et faillit y réussir.

Cosnac eut l’idée hardie, et dangereuse pour lui-même, de le tenter avec le fruit défendu[3]. Il fit miroiter à ses yeux de grands rôles, de hautes situations, et n’aboutit d’abord qu’à le remplir d’effroi à l’idée de peiner et de travailler. Il réussit pourtant à chatouiller son ambition en lui offrant la couronne

  1. Mémoires, éd., in-8o, VIII, 348.
  2. On sait que les médecins concluent aujourd’hui, d’après le procès-verbal d’autopsie et les récits de la maladie, à la mort naturelle de la première Madame,
  3. Cf. les Mémoires de Daniel de Cosnac (Paris, 1852, 2 vol. in-8o).