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théâtre était l’une de ses grandes passions, et elle rendait justice à l’éclat de notre scène, dont elle demeura, un demi-siècle durant, la fidèle habituée. Non contente de voir toutes les nouveautés, elle revoyait indéfiniment le répertoire, ne se lassant jamais d’une belle pièce, et la mémoire farcie de tirades en vers ou en prose, qu’elle citait volontiers, quitte à faire des vers faux. Si quelque chose avait pu la réconcilier avec la France, c’était assurément le théâtre ; mais son « cœur allemand » ne permettait pas ce miracle.

Elle avait une autre grande passion : la chasse à courre. La princesse Liselotte nous était arrivée ne sachant pas monter à cheval. Elle devint en France une brillante amazone, hardie, infatigable, riant des chutes, bravant les coups de soleil, et apportant au jeu une telle ardeur, que les grands chasseurs de la famille royale, Louis XIV et, plus tard, son fils le grand Dauphin, se faisaient un plaisir de l’emmener avec eux. Louis XIV avait présidé à ses débuts après trois mois de leçons : « (Saint-Cloud, 10 octobre 1673.) La semaine prochaine, j’espère aller chasser avec le Roi, car il m’a fait écrire par Monsieur qu’il prétendait m’emmener deux fois la semaine. Ce sera tout à fait dans mes goûts, car ma tante sait que sa Liselotte est toujours un petit démon[1]… » Le monarque et sa belle-sœur furent promptement inséparables pour la chasse : « (Versailles, 4 nov. 1677.) Je chasse avec le Roi tous les deux jours, et très souvent deux ou trois jours d’affilée… J’aime à chasser tout autant que le Roi, et c’est un plaisir qui est fait pour un diable de mon espèce, car on n’a pas besoin de se parer, ni de mettre du rouge, comme pour le bal[2]. »

Les estampes de l’époque nous apprennent sous quel aspect, avec quelle physionomie et dans quelle altitude, la France se représentait les personnages importans de la cour. Dès le premier coup d’œil, on sait à quoi s’en tenir sur la seconde femme de Monsieur ; elle fut pour les contemporains la princesse qui chasse toujours. Une série de gravures[3]nous montrent et

  1. Leopold Ranke. Franzosische Geschichte, vol. VI, p. 4. L’édition de Stuttgart coupe presque tout le paragraphe.
  2. Lettre à la duchesse Sophie.
  3. Bibliothèque nationale, Cabinet des Estampes. Il est à noter qu’aucun de ces « portraits, » qui portent son nom, n’essaie de lui ressembler, si peu que ce soit. Tous ont des figures de fantaisie.