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au moins pour des périodes de temps prolongées, que l’humanité a connu des associations dont le seul but a été la coopération : ce sont les sociétés industrielles, commerciales, coopératives, mutualistes, ainsi que tous les groupemens tolérés, sans existence légale.

L’observation des faits historiques montre parallèlement qu’à l’origine, alors que les groupes se trouvaient en antagonisme entre eux, l’association, ayant avant tout un but défensif, exerçait sur l’homme la puissance d’action la plus étendue. Elle l’embrassait tout entier ; l’individu disparaissait devant elle. Il en est ainsi dans la famille, dans la tribu. Cette absorption de l’individu persiste dans la corporation primitive, la guilde. De même, la corporation médiévale se caractérisait par son action sur l’individu qu’elle anéantissait, qu’elle englobait entièrement, mais se justifiait par l’aide qu’elle apportait à chacun des associés dans la poursuite de la fin, qui était le travail, en lui assurant la sécurité, condition essentielle de son activité économique. Les associations médiévales étaient non seulement des associations professionnelles, mais des organismes constitués pour la lutte[1]. A mesure que la sécurité se trouve mieux assurée, l’association corporative perd de plus en plus ce caractère d’absorption absolue, la sujétion de l’individu répondant plutôt à une nécessité de circonstance qu’à une condition du but principal que poursuivent les associés. En fin de compte, quand l’ordre civil se trouve parfaitement établi, c’est-à-dire au moment où survient la centralisation du pouvoir, les chaînes qui pèsent sur les associés tombent, la personnalité individuelle se dégage de la personne collective, la liberté économique de

  1. Aucun historien de l’association n’a fait, à notre connaissance, ressortir ce fait important que les corporations furent des organismes créés beaucoup plus pour la lutte en vue de la sécurité que pour le travail en coopération, et que les sociétés ne purent s’établir et fonctionner que quand la sécurité fut à peu près assurée. Nous croyons avoir dégagé cette notion philosophique sur l’association à la lecture de l’Histoire des origines et du développement du Tiers-État, d’Augustin Thierry et de l’Histoire de l’Association industrielle et commerciale, d’Ernest Frignet, en nous éclairant du passage suivant de la Morale Évolutionniste d’Herbert Spencer : «… Ainsi le point de vue sociologique de la morale complète le point de vue physique, biologique et psychologique, en permettant de découvrir les seules conditions dans lesquelles les activités associées peuvent s’exercer de telle sorte que la vie complète de chacun s’accorde avec la vie complète de tous et la favorise. A l’origine, le bien-être des groupes sociaux, ordinairement en antagonisme avec d’autres groupes semblables, prend le pas sur le bien-être individuel, et les règles de conduite auxquelles on doit alors de conformer empêchent le complet développement de la vie individuelle, pour que la vie générale puisse être conservée. En même temps, les règles doivent satisfaire autant que possible aux droits de la vie individuelle, puisque le bien-être de l’agrégat dépend dans une grande proportion du bien-être des unités. A mesure que les sociétés deviennent moins dangereuses les unes pour les autres, le besoin de subordonner les existences individuelles à la vie générale décroît et, quand on approche de l’état pacifique, la vie générale, dont le but éloigné a été dès le commencement de favoriser les existences individuelles, fait de ce but son but prochain. » Nous avons décrit l’évolution historique de l’association, telle que nous la comprenions et l’interprétions, dans notre étude sur les Syndicats professionnels et l’Évolution corporative.