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en personnes civiles ; elles existaient, abstraction faite de l’existence de leurs membres et se perpétuaient par le renouvellement même de ceux-ci. Le terme personne civile, — créé nécessairement bien avant la constitution de nos sociétés, — désigne donc une personne morale jouissant de la pérennité.

L’absence du mot nouveau nécessaire, et le seul emploi du terme « personne civile » alors qu’il s’est agi de dénommer les associations industrielles et commerciales et de définir leurs attributions, a été, pensons-nous, la cause d’une équivoque qu’il convient de dissiper. Nous adopterons pour cela le mot de délégation civile.

L’association ne peut se constituer en droit que par une fiction. La fiction était dans les associations anciennes, dans les corporations, une personne morale ; dans ces groupemens, l’homme était englobé, absorbé ; il abandonnait sa liberté et ses droits ; il n’existait et ne possédait que pour et par la personne morale ; il disparaissait dans la fiction qui se substituait à lui. Mais aujourd’hui, la fiction n’est plus qu’une simple délégation. Les hommes groupent seulement leurs divers intérêts spéciaux ; ils peuvent placer chacun de ces intérêts dans une association différente ; ils restent en dehors et indépendans de l’association. En associant leurs intérêts, ils contractent des obligations à l’égard de leurs coassociés et des tiers ; mais tout est temporaire, tout est limité dans ces obligations. Les associés conservent toute leur liberté et n’abandonnent aucune parcelle de leurs droits. Ils délèguent simplement leurs pouvoirs à des êtres moraux investis par eux d’un mandat précis, « nul ne pouvant déléguer plus de pouvoir qu’il n’en a. »

Les associations modernes, quel qu’en soit le caractère, les sociétés commerciales, industrielles, professionnelles, scientifiques, religieuses ou autres, sont ainsi ou doivent être de plus en plus constituées, non pas en personnes civiles, mais en délégations civiles, c’est-à-dire en entités capables de posséder et de défendre les droits collectifs des associés, dont elles ne sont que les représentans, mandataires ou délégués temporaires[1].

  1. Il ne faut pas confondre les intérêts et les institutions qu’ils font éclore. Les intérêts peuvent être permanens ou perpétuels, ce qui ne signifie pas que les entreprises qui répondent à ces intérêts aient le caractère de la permanence. Ainsi les marchands de parapluies sauvegardent un intérêt incontestablement permanent, puisqu’il a toujours plu et qu’il pleuvra toujours ; en résulte-t-il une justification de la personnification civile pour les entreprises du commerce des parapluies ?
    Seuls l’État et les communes doivent être investis de la personnification civile parce que, seuls, ils sont censés constitués pour un temps indéfini en vue de l’accomplissement d’une fonction non limitée dans le temps. Mais l’État, lui-même, ne doit plus avoir parmi ses attributs l’octroi de la personnification civile, même pour des objets d’utilité publique.
    Il n’est pas inutile de faire remarquer ici qu’une fédération nationale de groupemens investis de la personnification civile constitue un État dans l’État.