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ne doutaient point que le peuple n’affirmât une fois de plus, en votant non, sa fidélité aux vieilles traditions genevoises, car depuis trois siècles l’Eglise, j’entends l’Eglise nationale protestante, et l’État, vivent à Genève de la même vie, ayant d’ailleurs même origine, à ce point qu’il semble impossible d’écrire l’histoire politique de cette petite République, sans écrire en même temps son histoire religieuse. Le résultat du référendum fut donc pour tout le monde, à l’exception de M. Henri Fazy et de quelques amis auxquels il avait su faire partager sa confiance, une surprise.

Surprise douloureuse pour beaucoup de protestans que la rupture du lien séculaire a blessés dans leurs sentimens patriotiques autant et peut-être plus que dans leurs sentimens religieux. On m’assure que de vieux Genevois ont pleuré à l’annonce du scrutin. Surprise douloureuse aussi, mais où la douleur a des causes plus terre à terre, encore que légitimes, pour ce qui reste du clergé vieux-catholique. Il y a, en effet, à Genève, deux églises dites nationales, — l’Eglise nationale protestante et l’Église nationale catholique, — que la séparation touche directement, mais non pas, à beaucoup près, avec une égale gravité, dans leurs intérêts matériels. Avec ces églises coexistent deux grandes églises libres : l’Eglise évangélique, constituée en 1849, par diverses associations dont les membres s’étaient volontairement séparés de la vieille Eglise protestante nationale, et l’Église catholique romaine, violemment libérée par la persécution, en 1873, de ses attaches avec l’Etat.

Quelle est la situation actuelle de ces églises en face de la nouvelle loi, et quelle répercussion cette loi pourra-t-elle avoir sur leurs destinées respectives, c’est ce que nous dirons ou ce que nous essaierons de prévoir, après avoir rappelé les rapports anciens ou actuels des diverses églises de Genève avec l’État. Tout dépend maintenant pour elles, en somme, du plus au moins de sève religieuse qu’elles sont capables d’opposer aux puissances de destruction. Et avant tout il importe de se rendre compte des causes qui ont amené la séparation et des conditions dans lesquelles elle va s’accomplir. Tout cela mériterait d’être étudié à fond ; car nous avons des raisons excellentes de nous intéresser à l’évolution religieuse de la petite République genevoise. Au cours des débats qui ont précédé le vote de la séparation par le grand Conseil, on a dit que Genève était un « laboratoire d’idées. »