La séparation de l’Eglise nationale d’avec l’Etat est incontestablement pour l’Eglise évangélique libre, sans parler d’autres groupemens protestans qui se sont constitués sur le même principe séparatiste, un triomphe moral. Cependant, l’on exagérerait singulièrement la portée de ce triomphe si l’on ne prenait pas garde que les fondateurs de l’Eglise évangélique ne cédèrent point, quand ils abandonnèrent l’Eglise nationale, à un irrésistible besoin de se libérer vis-à-vis de l’Etat, et que leur grande raison d’abandonner cette Eglise fut son relâchement doctrinal. C’étaient, nous dit le pasteur Brocher, dans l’intéressant opuscule qu’il a consacré à l’Eglise évangélique à l’occasion de son jubilé, en 1899, « de petits groupes de chrétiens qui, ayant faim et soif de la vie de Dieu et ne la trouvant pas dans les cultes officiels, se réunirent pour méditer et prier ensemble. » La Compagnie des Pasteurs avait supprimé en 1725 la profession de foi, et dès lors on ne prêchait plus guère, dans l’Eglise nationale, que la religion naturelle. Ce n’était pas assez pour des âmes qui trouvaient, et avec raison, fort inconsistante une morale chrétienne dépourvue de toute assise dogmatique. D’autre part il arriva que l’Eglise nationale se montra intolérante à l’égard de pasteurs qui prétendaient réagir contre le relâchement doctrinal. César Malan se vit interdire l’accès des chaires de Genève pour avoir prêché en 1817, au temple de la Madeleine, la doctrine du salut gratuit. Il se résigna donc à faire le culte dans sa propre maison, en attendant de pouvoir ouvrir, en 1820, une chapelle du Témoignage. Un peu plus tard Louis Gaussen, pasteur à Satigny, pour avoir témoigné comme César Malan en faveur de la doctrine du salut gratuit, et rejeté le catéchisme imposé par la Compagnie des Pasteurs, se trouva en butte à des attaques violentes. Il fonda en 1831 une société évangélique qui ouvrit l’année suivante une école de théologie dont les premiers professeurs furent Gaussen lui-même, Merle d’Aubigné, Galland. La destitution de Gaussen suivit de près. Bientôt s’ouvrirent de nouveaux lieux de culte, sans attache avec l’Eglise nationale, notamment : l’Oratoire en 1831, la chapelle de la Pélisserie en 1839. C’est en ce temps-là que Vinet publiait son Essai sur la manifestation des convictions religieuses et sur la