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le droit de dire que c’est elle qui nous parle par lui. » Écoutons encore ce témoignage, plus voisin de nous :


L’action de la comédie intitulée : Comme il vous plaira est placée, en majeure partie, dans la forêt d’Ardenne. Or, un examen de la pièce nous fait aboutir à une découverte singulière. Dans toute la pièce, il n’y a pas un oiseau, ni un insecte, ni une fleur, qui soient mentionnés par leur nom. Les mots « fleur » et « feuille » ne paraissent jamais. Le chêne est le seul arbre cité. En fait d’animaux, le poète nomme un cerf, une lionne, un serpent vert et un autre doré. La saison est impossible à déterminer : elle semble bien être l’été, encore que nous entendions parler, seulement, de la morsure du froid et d’un vent hivernal. « Mais tout cela est mensonge ! » comme dirait Rosalinde : et certes la vérité a été exprimée infiniment mieux, sur cette comédie, par les critiques qui en ont célébré « les solitudes feuillues tout embaumées du chant des oiseaux. » Les bannis de la forêt d’Ardenne, non plus que nous-mêmes, ne s’aperçoivent que leur asile est pauvrement pourvu des accessoires de théâtre qui conviennent pour une forêt ; ils écoulent leur temps, négligemment, dans un paradis d’indolence joyeuse ; et les « solitudes feuillues, autour d’eux, sont embaumées du chant des oiseaux, » et un été splendide rayonne dans leurs cœurs. Ainsi le poète atteint son objet sans l’artifice d’une allusion au doux gazon vert, qui, sans doute, sur la scène, aura été représenté par des planches peintes. L’appareil dramatique de Shakspeare est de ceux qui ne sauraient être mis aux enchères, et débités, en détail, sous le marteau du commissaire-priseur : car il n’est riche en rien qu’en seule poésie.


J’extrais ce passage d’un petit livre sur William Shakspeare que vient de publier le savant professeur de littérature anglaise à l’Université d’Oxford, M. Walter Raleigh, et dont la publication a été, dans son pays, un événement littéraire des plus considérables. Il y avait, en effet, plus d’un quart de siècle que la collection des English Men of Letters, fondée avec un très vif succès par M. John Morley, attendait un Shakspeare ; et l’on savait, par ailleurs, que depuis maintes années le professeur d’Oxford employait tous ses loisirs à la préparation d’un volume qui fût digne, à la fois, de l’importance du sujet et de l’éminente renommée de l’auteur. Aussi le volume, dès son apparition, a-t-il été accueilli avec empressement ; et les quelques comptes rendus que j’ai eu l’occasion d’en lire, dans les journaux anglais, semblent indiquer que l’attente du public littéraire n’a pas été déçue. Tel qu’il est, le petit livre de M. Raleigh abonde en renseignemens précieux, de l’érudition la plus sure et la plus discrète, en réflexions originales, en jolis tours de phrase, un peu bien subtils, parfois, mais toujours très élégans dans leur subtilité. Son seul défaut est de nous offrir une sorte d’essai sur Shakspeare, au lieu de la simple étude biographique