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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/955

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plus effrayé et se sentant débordé, a supplié nos officiers d’épargner la ville, mais de continuer le feu sur la campagne environnante afin de disperser les groupes, et c’est dans ces conditions que le bombardement s’est prolongé. Depuis lors, à en croire les dépêches, il a été plusieurs fois interrompu et repris. Le fanatisme marocain n’a pas désarmé : nous avons dû repousser des assauts sans cesse renouvelés. Des scènes de pillage et des massacres ont eut lieu dans la ville ; les détails en sont encore mal connus ; ceux qu’on connaît sont atroces et malheureusement trop vraisemblables. Les quartiers juifs semblent avoir particulièrement souffert. Les rues sont encombrées de cadavres et il s’en dégage une odeur pestilentielle. Au milieu de ces tristes scènes, on ne saurait trop admirer l’héroïsme déployé par les soldats français et espagnols, qui ont pénétré dans la ville et ont tout renversé devant eux pour voler au secours de leurs consulats. Les nôtres chantaient la Marseillaise, et nous avons cru en entendre l’écho : — Allons enfans de la patrie, — Le jour de gloire est arrivé ! Les pertes qu’ils ont faites ont d’ailleurs été peu nombreuses : celles des Marocains sont considérables.

Nos pertes auraient été encore moindres, si on avait prévu la brusquerie et la violence que devaient prendre les événemens ; il aurait suffi d’opérer avec de plus grandes forces ; mais, nous l’avons dit, on ne s’attendait pas au déchaînement qui s’est produit. Peu à peu, des renforts sont arrivés et aujourd’hui nos troupes débarquées s’élèvent à 2 000 hommes. Nul ne peut dire si elles seront suffisantes : quoi qu’il en soit, une fois engagés dans cette affaire, nous ferons tout ce qu’il faudra pour la conduire à bon terme. Il nous est impossible de faiblir et de reculer. La question qui se pose est de savoir si l’effervescence marocaine se concentrera à Casablanca, ou si le mouvement s’étendra à d’autres villes maritimes : la solution dépendra pour beaucoup de l’attitude résolue que nous saurons prendre. Des symptômes d’agitation se sont manifestés à Mazagan et à Rabat ; quelque émotion même s’est produite à Tanger. Nous espérons que les choses n’iront pas plus loin ; mais qui pourrait le dire ? Depuis plusieurs années, on prêche au Maroc la haine de l’étranger et de la civilisation qu’il apporte avec lui. On a accumulé partout des matières combustibles ; le feu pourrait donc prendre sur plusieurs points à la fois. Au surplus, si nous n’avons une obligation particulière de l’éteindre, les Espagnols et nous, que dans les ports de la côte, nous n’avons pas le moindre désir d’étendre la portée du mandat qui nous a été confié, ni de sortir de ce qu’on appelle « le cadre