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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/962

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sa pleine indépendance, et n’est venu à Paris que pour prendre l’air. Nous n’aimons pas beaucoup à voir mêler d’une manière aussi apparente la magistrature à une besogne politique. Il y a bien eu, cette fois, quelques circonstances atténuantes ; ou aurait pu, toutefois, faire les choses plus discrètement.

M. Clemenceau avait fait son large geste. Ne doutant pas un instant, puisque M. Dujardin-Beaumetz le lui avait promis, que le retrait des démissions en serait la conséquence immédiate, il est parti aussitôt pour Carlsbad, laissant la direction du ministère de l’Intérieur à M. Maujan, qu’il venait d’y nommer sous-secrétaire d’État en remplacement de M. Sarraut, démissionnaire. Si M. Clemenceau est parti tranquille, sa tranquillité n’a pas été de longue durée. A peine était-il arrivé à Carlsbad, avant même peut-être, l’incident de Casablanca éclatait : de plus, les prisonniers d’Argeliers sortaient de prison dans des dispositions très différentes de celles qu’on avait escomptées.

Faut-il parler de ces prisonniers au pluriel ? En réalité, il n’y en avait qu’un qui comptât, M. Ferroul : tous les autres disparaissaient dans son rayonnement comme des comparses, tous, à l’exception du pauvre M. Marcelin Albert, qui gardait sa personnalité propre, mais, hélas ! bien changée, et qui aurait été peut-être fort heureux d’échapper à l’attention publique. Nous avions prévu que le rédempteur finirait mal ; c’est le sort habituel des rédempteurs ; mais jamais chute n’a été plus rapide, ni plus profonde, que celle de M. Marcelin Albert. Sa visite à M. Clemenceau n’a pas été comprise : quand les détails en ont été connus, le soupçon s’est répandu, l’indignation s’est propagée dans le Midi, et si M. Albert ne s’était pas constitué prisonnier, nul ne peut dire ce qui lui serait arrivé. En revanche, s’il s’était laissé arrêter avec M. Ferroul, avec M. Cathala et les autres camarades, son prestige continuerait aujourd’hui de resplendir d’un flamboyant éclat. M. Albert ne s’est pas rendu compte qu’il y a des momens où on ne se conserve bien qu’en prison : il y est entré huit jours trop tard, il était déjà perdu. Il s’est plaint depuis que, dans la prison où il était enfin allé les rejoindre, ses co-détenus se soient moqué de lui et lui aient même joué quelques tours de mauvais goût. Ce n’était rien en comparaison de ce qui l’attendait à la sortie ! Les huées l’ont accueilli de toutes parts ; les mots de traître, de renégat, ont retenti à son oreille ; on a parlé de le pendre, on a voulu le faire, il a dû chercher un refuge dans sa maison. Il n’avait mérité ni l’excès d’honneur d’autrefois, ni l’indignité d’aujourd’hui. M. Albert a l’âme présomptueuse, mais simple, naïve, sincère. Il a cru jouer un