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grand rôle alors qu’il n’était qu’une enseigne, une image. On l’a hissé sur le pavois, on l’a fait monter sur des estrades, et le Midi a vu sa maigre silhouette se dessiner au-dessus des foules en délire. Mais il n’était, lui, qu’un instrument entre des mains habiles qui, après en avoir tiré tout le parti qu’elles pouvaient en tirer, n’ont plus songé qu’à le laisser choir. Le bonhomme se prenait au sérieux et devenait encombrant. Sa maladresse avec M. Clemenceau a merveilleusement servi ceux qui voulaient se débarrasser de lui. Et il ne reste plus aujourd’hui de M. Marcelin Albert qu’une triste épave que le flot a abandonnée et ne soulèvera plus.

En revanche M. Ferroul est sorti gros et frais de prison, reposé alors que les autres étaient fatigués, et résolu à continuer une lutte dont ils avaient assez. M. Ferroul est tout juste le contraire de M. Albert. Il a été député pendant plusieurs législatures et aspire probablement aie redevenir. Il n’est ni simple, ni naïf ; il est décidé à jouer son jeu et à profiter des circonstances ; prudent d’ailleurs quand il le faut : — on n’a pas oublié qu’au moment de son arrestation, comme ses amis de Narbonne voulaient le défendre avec des barricades, il s’est emporté à jurer contre des gens qui l’exposaient à « attraper dix années de bagne ! » — M. Ferroul avait assez d’un mois de prison, après quoi il espérait bien reparaître comme nous le voyons reparaître en effet, et reprendre, après avoir calculé ses coups, son rôle provisoirement interrompu. Sa première parole en le reprenant a été pour répondre par un : Non ! énergique à une questionneur qui lui demandait s’il retirait sa démission de maire. Il ne s’est pas contenté de la maintenir, il a fait prendre par le comité d’Argeliers une résolution en vertu de laquelle toutes devaient être maintenues. La grève municipale continue donc, et M. Clemenceau, de Carlsbad où il se soigne, doit se demander s’il n’a pas eu tort défaire trop vite le « large geste de fraternité » qui lui avait été demandé. M. Ferroul y répond par un geste de défi et de combat.

Nous ne croyons pourtant pas que M. Ferroul ait le dernier mot dans cette affaire. Sortant de prison après un mois de captivité, il retarde naturellement d’un mois, et n’ayant pas participé aux luttes, aux espérances, aux désillusions, à la lassitude de ceux qui sont restés en liberté, il croit pouvoir leur imprimer à nouveau le mouvement qu’ils ont épuisé, ou plutôt qui les a épuisés. Y réussira-t-il ? Les démissions que les maires commençaient à reprendre, seront-elles maintenues longtemps ? Si elles le sont, les conséquences peuvent en être graves pour ceux qui ont fomenté des résolutions collectives