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travail collectif, l’attraction de la grande ville. Faut-il des preuves ? Jamais la littérature, roman et théâtre, n’affirma plus résolument le droit de l’individu à frayer son chemin, à s’assurer sa propre joie. Les statistiques donnent pour le nombre des divorces des chiffres qui croissent d’année en année. En 1892, les tribunaux avaient prononcé 7 035 divorces, en 1893, 6 937. Dix ans plus tard, on en trouve pour 1902, 9 431, et pour 1903, 10 186 ; en dix ans, les chiffres ont passé de 7 035 à 9431, de 6 937 à 10 186 : c’est une augmentation de 2 500 à 3 000, de 35 à 40 pour 100. Le Parlement vote d’enthousiasme toutes les lois qui affranchissent ou favorisent l’individu aux dépens de la famille. Ainsi il supprime l’article 298 qui, pour détourner de l’adultère, défendait à l’époux coupable d’épouser son complice : la Chambre autorise la légitimation des enfans adultérins ; demain, elle rétablira le divorce par consentement mutuel, non point entouré d’obstacles comme l’avait institué le Code civil, mais simple, accessible à tous. Dans ces discussions, c’est à peine si une voix rappelle, parmi des applaudissemens assez faibles, qu’il existe de par le mariage une famille, des enfans légitimes ; on répond par les droits imprescriptibles de l’individu, ou même on ne répond pas. Pour tout ce qui touche à « l’état » des personnes, il apparaît qu’au Parlement comme dans les classes moyennes règnent, avec un vague sentimentalisme et un avide besoin de jouissance, des idées de droit naturel qui auraient ravi Rousseau : c’est l’individu qui en profite, c’est la famille qui en pâtit. A côté de ce courant qui s’est si vite accru dans les dernières années, l’autre courant, celui qui rassemble les travailleurs dans l’usine, dans la grande ville, se précipite aussi. Il ne suffit pas que la campagne s’appauvrisse en hommes par l’attrait du gain plus fort et de la vie plus animée : des industries nouvelles surgissent ; l’automobile appelle des milliers d’ouvriers ; l’électricité multiplie ses applications ; les produits chimiques se diversifient et se répandent. Il faut des hommes, encore des hommes. C’est de la richesse assurée pour le pays. Tout le monde s’en réjouit, travaille à l’augmenter, cherche à en prendre sa part. Comment pourrait-il en être autrement ?

Cette évolution des mœurs aura nécessairement, quant à la condition des enfans, ses effets dans les lois. Avec la facilité plus grande du divorce, il faudra bien que la loi s’inquiète de plus en plus du sort des « victimes ;  » pour le divorce par