Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malheureux à la place de la Révolution. Ils y furent entassés. Le triste cortège suivait l’itinéraire accoutumé : Pont-au-Change, quai de la Mégisserie, rue Saint-Honoré. La foule poussait des « cris divers. » Des poings tendus menaçaient les victimes. Papillon d’Auteroche dit à son voisin :

« Ce qui me chagrine c’est d’avoir d’aussi déplaisans héritiers. » Il fallut trente-cinq minutes pour guillotiner les vingt-huit condamnés. Cheverny écrit : « Ils firent une fin superbe. » Seul, Boullongne donna des marques de faiblesse.

Le lendemain, en manière d’oraison funèbre, les journaux couvrirent les morts d’outrages. On comparait ingénieusement le sang dont ces vingt-huit corps avaient couvert l’échafaud, « aux lits de pourpre sur lesquels les fermiers généraux étendaient leur mollesse. »

En parlant de Lavoisier, Lagrange disait à Delambre : « Il ne leur a fallu qu’un moment pour faire tomber cette tête et cent années peut-être ne suffiront pas pour en reproduire une semblable. »

Après la « fournée » du 19 floréal (8 mai), six fermiers généraux restaient encore dans les prisons : ils furent conduits à l’échafaud tous les six. L’exécution du 24 floréal (13 mai) fut particulièrement atroce. On y fit périr trois vieillards : Douet, âgé de soixante-treize ans, Prévôt d’Arlincourt, âgé de soixante-seize ans, et Mercier qui en avait soixante-dix-huit. Fouquier-Tinville avait dit dans son réquisitoire : « Vous voyez devant vous, citoyens, des fermiers généraux, ennemis de l’égalité par état et par principe : les pièces du procès vous les montrent gorgés des dépouilles du peuple et couverts de rapines. » Il assura que c’étaient des hommes « habitués à des horreurs inconnues aux monstres les plus féroces. » Les trois pauvres vieux furent livrés au bourreau. Et Mme Douet fut guillotinée immédiatement après son mari.

Veymerange, en apprenant qu’on allait l’arrêter, se jeta du haut d’un cinquième dans la rue. Quatre heures après, il expirait à l’Hôtel-Dieu. Telle était la haine dont nos financiers étaient poursuivis que, quelques semaines après la condamnation de Lavoisier et de ses compagnons, on envoyait encore à la mort le jeune Sainte-Amaranthe, un enfant de seize ans, fils d’un ancien titulaire des Fermes. Enfin, le 4 thermidor, le supplice de Jean-Baptiste de la Borde venait clore l’affreux martyrologe.