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souffert de la soupçonneuse malveillance du pouvoir se voyaient, pour la première fois peut-être, traités, eux aussi, en enfans du Tsar blanc, au même titre que les Russes orthodoxes. Ainsi que ces derniers, les privilégiés de la veille, ils étaient invités à nommer des représentans pour porter au pied du trône leurs vœux et leurs doléances. Grand changement, en vérité, dans le vieil Empire slave, que cette égalité de droits des races et des religions l’assemblées sous les larges ailes de l’aigle héritée des Paléologues ; changement qui n’innovait guère moins que l’appel même aux urnes électorales. Rien ne montrait mieux que c’était bien un esprit nouveau qui soufflait sur la sainte Russie, un esprit de tolérance et de liberté, et qu’en dépit des murailles et des gardes qui semblaient en défendre l’entrée, cet esprit nouveau pénétrait [jusqu’au fond des impériales résidences de Tsarskoïé-Selo ou de Péterhof.

Pour renoncer ainsi spontanément, à l’égard de près d’un tiers des sujets russes, à la traditionnelle politique de vexation et de tracasserie obstinément personnifiée durant trois règnes par M. Pobédonostsef, le gouvernement du Tsar n’avait pas attendu la réunion de la première Douma. Il connaissait du reste les vœux de l’élite du peuple russe ; ils lui avaient été exprimés, publiquement, avec force, lors du premier congrès des zemstvos rassemblés à Moscou. De cette vieille capitale, d’où, pendant près d’un demi-siècle, Katkof et ses héritiers de la Gazette de Moscou avaient inlassablement soulevé la Russie contre la Pologne et contre le « latinisme, » contre les juifs et contre le « sémitisme, » les délégués des provinces de « la Russie russe, » les seuls de tout l’Empire en possession d’assemblées électives, étaient presque unanimes à proclamer, à la face du pays et du gouvernement, que toutes les provinces de la Russie et tous les sujets du tsar russe devaient être investis des mêmes droits, sans distinction d’origine ou de religion. Ce principe, adopté par le gouvernement de M. Witte, passait dans la loi électorale ; il semblait désormais lié à l’application du manifeste d’octobre et de la façon de charte accordée à ses peuples par le tsar Nicolas II. C’est ainsi que les 5 ou 6 millions de juifs de l’Empire se sont trouvés, subitement, en possession des mêmes droits politiques que les Russes orthodoxes, alors que, pour les droits civils, ils demeuraient encore astreints aux multiples restrictions d’une législation hostile.