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Arméniens notamment, aigris par de longues souffrances, semblaient s’être employés, dans la seconde Douma, à irriter les Russes et le gouvernement par l’outrance de leurs provocations révolutionnaires. Interdire l’accès de la Douma à tous les allogènes, le gouvernement ne l’a pas voulu ou ne l’a pas osé ; il s’est borné à réduire le nombre de leurs députés à un chiffre infime, de façon à les rendre impuissans. Le résultat sera surtout de les blesser, de les désaffectionner, de les rejeter tous dans l’opposition, peut-être dans les conspirations ; et cela à l’heure où l’inauguration d’institutions libres offrait un moyen de se les attacher. Sur ce point, la politique du cabinet Witte semblait plus habile, parce qu’elle était la seule vraiment impériale. La diversité des populations et des nationalités de l’énorme Empire est la conséquence même de sa grandeur. L’Etat russe ayant débordé sur ses voisins d’Europe ou d’Asie, un bon tiers des sujets du Tsar ne sont pas de sang, de langue, ou de religion russe. Est-il prudent de toujours les traiter en mineurs ou en sujets de deuxième classe ?

Plus ils sont nombreux, plus la politique conseille de les ménager, d’autant que les vingt-cinq ou trente millions de Malo-Russes ou Ukrainiens, et de Biélo-Russes, poussés par les ukrainophiles, commencent à se regarder, eux aussi, comme des nationalités distinctes, si bien que les vrais Russes, réduits aux Grands-Russiens, ne formeraient pas, en Europe même, la moitié de la population. Heureusement pour l’avenir de l’Empire que, si les nationalités y sont nombreuses et vivaces, elles sont, par leur multiplicité même, très divisées entre elles, en même temps qu’elles sont toutes rattachées au centre russe par les intérêts économiques. A vrai dire, dans cet Empire gigantesque, il n’y a presque plus aujourd’hui de séparatistes ; s’il venait à s’en trouver, la faute en serait aux erreurs et aux vexations de la politique russificatrice. Un parlement commun, où tous les peuples de l’Empire pourraient librement faire valoir leurs droits, serait encore un des meilleurs moyens de les rapprocher et de les réconcilier, par suite de consolider l’Empire et de raffermir la puissance russe. C’est ainsi que le comprennent les libéraux, et les deux premières Doumas semblaient bien leur donner raison.

La preuve en était l’attitude des Polonais, naguère encore le plus réfractaire de tous les peuples annexés. Les « vrais