Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Russes » répètent qu’il est humiliant pour la Russie de permettre à des Polonais, à des catholiques et à des juifs, de jouer le rôle d’arbitres entre les partis russes. Les Anglais se trouvent dans une position analogue, ou même plus défavorable vis-à-vis des Irlandais. L’orgueil britannique n’en est point humilié ; il tolère même, par respect de l’acte d’Union, que la proportion des députés irlandais à Westminster soit relativement supérieure au chiffre des représentans de l’Angleterre. Est-il digne de la Russie de se montrer moins équitable envers la Pologne, que l’Angleterre envers l’Irlande ?

Il y aurait du reste un moyen de diminuer sans les froisser le nombre et l’influence des Polonais dans la Douma russe ; ils l’ont eux-mêmes indiqué : ce serait de rétablir l’autonomie du royaume de Pologne. Bien des Russes croient la chose possible, conforme même aux intérêts des deux peuples. Les Polonais n’en sont plus aux rêves de 1830, de 1848, de 1863 ; ils ne revendiquent pas un gouvernement de tous points autonome, analogue à celui que le tsar Nicolas II a eu la sagesse de restituer à la Finlande ; ils se contenteraient d’une autonomie administrative. Le vœu est si naturel que, sans le veto de Berlin, on pourrait espérer le voir bientôt satisfait.

Qu’on l’appelle ou non autonomie, il faudra bien donner à la Pologne des institutions particulières ; la pacification est à ce prix, tous les Russes éclairés l’admettent. En dehors même de la Pologne, le système niveleur de centralisation bureaucratique que la Ligue du peuple russe prétend faire peser sur toutes les régions de l’Empire est contraire aux intérêts des populations, contraire à la nature même des choses. La Russie est trop vaste pour être administrée, comme une machine inerte, par un mécanisme unique, installé aux embouchures de la Neva.

Le régime constitutionnel ne pourra fonctionner chez elle qu’appuyé sur un large self government régional. En Russie, plus encore qu’ailleurs, les libertés politiques ne peuvent avoir de solide support que dans les libertés locales. Ces libertés elles-mêmes, on ne saurait longtemps en faire le privilège des Russes orthodoxes, d’autant que protestantes, catholiques, arméniennes, israélites ou même musulmanes, les populations non orthodoxes ne le cèdent aux Russes de l’Eglise nationale, ni en intelligence, ni en culture, ni en énergie. Les traiter en races inférieures, c’est commettre à leur égard une injustice qu’elles