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mode de l’élection serait fixé par les ouvriers eux-mêmes, mais que ces derniers seuls auraient le droit d’y assister : on veut par là les soustraire à l’influence des intellectuels, des révolutionnaires d’autres classes. La même précaution a été prise pour les assemblées électorales des paysans. On sait qu’en Russie la majorité des ouvriers, même dans la grande industrie, est formée de moujiks qui demeurent inscrits dans leurs communes rurales et continuent souvent à y posséder un lot de terre. La loi de 1907 a eu soin d’édicter que ces ouvriers en résidence à la ville ou à l’usine ne pourraient prendre part à l’élection des représentans des communes rurales. Cette précaution ne tend pas seulement, ce qui est naturel, à interdire aux ouvriers paysans un double vote ; elle cherche à diminuer dans les villages les influences révolutionnaires, en écartant des urnes rurales les ouvriers de la grande industrie. À ces derniers, il est accordé un député particulier dans les six gouvernemens les plus industriels de la Russie (cette faveur est refusée à la Pologne) ; mais ce député ouvrier, au lieu d’être choisi par les ouvriers, devra seulement être pris parmi eux ; il sera élu par l’assemblée générale de la province où dominent les propriétaires fonciers.

Plus importans encore, surtout par leurs conséquences, sont les changemens apportés au mode de scrutin par curies, dans les élections par provinces ou goubernies. Comme d’après la loi de 1905, les élections devront toujours s’y faire par catégories, par classes sociales ; mais à l’inverse de l’ancienne, la loi de 1907 a manifestement pour but de faire passer, dans les assemblées électorales, la prépondérance numérique, des paysans aux propriétaires, des anciens serfs aux anciens seigneurs. C’est là, pourrait-on dire, le trait principal de la loi nouvelle, ce qui, aux yeux du pouvoir comme à ceux de l’opposition, en fait le caractère et la portée. A cet égard, en effet, la loi électorale du ministère Witte et celle du ministère Stolypine contrastent entièrement. La première remontait au lendemain de la guerre de Mandchourie, à l’époque, encore voisine par les années et déjà lointaine, où le gouvernement du tsar Nicolas II, inquiet des revendications libérales du premier congrès des zemstvos, défiant des propriétaires et des classes instruites, considérait encore le moujik, le paysan des communes rurales, comme l’homme russe par excellence, par suite, comme la classe la plus conservatrice aussi bien que la plus dévouée au Tsar. L’événement