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allait bien vite montrer ce qu’il y avait d’illusion dans les espérances ainsi mises sur la simplicité du moujik. La question agraire, le désir passionné d’augmenter, aux dépens de leur ancien seigneur, les terres du mir qu’ils se partagent périodiquement, rendaient les plus religieux comme les plus routiniers de ces paysans accessibles au prosélytisme de la Révolution. Pour gagner le moujik, il suffisait de lui promettre la terre. La propriété collective, en usage dans les communes de la Grande-Russie, donnait aux socialistes une prise sur le paysan. Le gouvernement en a fait l’expérience dès la première Douma, ou mieux dès l’arrivée des députés moujiks à Pétersbourg, dès leur premier contact avec les socialistes des villes.

Le paysan s’étant montré à la fois moins conservateur et moins docile que ne l’avaient imaginé les conseillers du Tsar, le moujik a cessé d’être regardé comme le principal facteur de l’ordre et le naturel soutien du trône. La faveur de l’autorité s’est détournée de lui pour se reporter sur le propriétaire foncier, le pomechtchik qui, à l’inverse de l’ancien serf, possède la terre à titre individuel, qui la défend comme son héritage et, par là même, est généralement opposé aux lois agraires réclamées par le moujik. Les propriétaires appartiennent encore pour la plupart au dvorianstvo, à la noblesse. Ils étaient souvent, il est vrai, libéraux, à tout le moins frondeurs, hostiles au régime bureaucratique, désireux d’obtenir, à l’aide d’une constitution, une part de l’autorité publique ; mais, en tant que propriétaires, ils se montraient le plus souvent défians du socialisme. Les émeutes agraires jointes aux menaces d’expropriation ont déjà, durant les deux premières Doumas, tempéré grandement le zèle novateur et les aspirations parlementaires de beaucoup des plus hardis d’entre eux. Comme en d’autres pays, à d’autres époques, les révolutionnaires les ont souvent dégoûtés de la révolution. Le ministère a naturellement cherché à tirer parti de ces craintes, à exploiter cette sorte de revirement des classes élevées. Il compte sur le spectre de l’expropriation pour lui ramener le plus grand nombre des propriétaires. Aussi, par un changement de front complet, a-t-il décidé de faire passer, dans les assemblées électorales, la suprématie numérique, du paysan des communes au propriétaire foncier.

La loi de 1907 y parvient à l’aide de dispositions aussi simples qu’ingénieuses ; c’est, à cet égard, un chef-d’œuvre de