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ma réputation, » lui disait une jeune femme en quittant un salon où elle laissait la comtesse. Répondant à Mme de Matignon qui lui reprochait des médisances, elle lui demandait avec calme : « Eh bien ! sommes-nous quittes ? » Est-il étonnant d’après cela que le comte de Neuilly ait écrit : « Même dans ses instans de bonhomie, si on la regarde, on retrouve un certain sourire qui avertit que la malice n’est pas loin. »

Que ce fût pour se venger de ses mots piquans et de ses sarcasmes, ou par un excès de jalousie suscitée par sa longue faveur, la calomnie s’acharna traîtreusement sur Anne de Cau-mont la Force. Kagenœck et Bachaumont, — et après eux, nombre d’historiens, — lui ont reproché d’avoir fait enfermer dans un asile d’aliénés son mari qui l’avait surprise en flagrant délit et qui semblait peu disposé à accepter son malheur. Toute la procédure du Châtelet et de nombreux dossiers déposés aux Archives nationales sont là pour répondre de l’inanité de cette accusation ; ils contiennent les interrogatoires du comte de Balbi avec le récit détaillé de ses hallucinations maladives, de ses étonnantes fantaisies et de ses tragiques accès de fureur. On y trouve la preuve palpable que ce malheureux était un aliéné dangereux, que sa femme dut avoir hâte de voir éloigner d’elle, et sur l’état de santé duquel tous ses parens maternels et paternels émirent un avis unanime.

On l’a accusée d’avoir dilapidé les finances de Monsieur, mais on oublie qu’une bonne part des sommes qu’elle reçut du Prince ne furent que de simples avances qu’elle remboursa en partie par la suite. Mme d’Abrantès, qui ne l’aime pas, a été jusqu’à l’accuser d’avoir mis le feu elle-même à son appartement du Luxembourg pour en faire changer le mobilier et les tentures qui n’avaient pas l’heur de lui plaire. Les dégâts occasionnés par l’incendie montèrent, à l’en croire, à 200 000 livres ; mais elle s’est trompée à la fois sur les dates et sur les chiffres, et les comptes des archives nous apprennent que les dépenses ne dépassèrent pas 7 000 livres. Enfin, si elle fut l’objet des libéralités du Comte de Provence et si le Prince vint souvent combler les brèches que la passion du jeu faisait à sa bourse, ce fut dans une mesure beaucoup moindre qu’on ne l’a raconté. En tout cas, ce ne fut pas pour thésauriser qu’elle profita de ses largesses, car, dès son arrivée en Angleterre au moment de l’émigration, on la voit en proie à la gêne et aux