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sa beauté, il admire ses rares qualités intellectuelles ; ses spirituelles reparties le charment, sa conversation le retient. Quand elle parle, ses moindres mots sont empreints d’une originalité piquante, elle a sur les choses et sur les gens des aperçus inattendus qui n’appartiennent qu’à elle, et elle est douée d’une perspicacité souvent inquiétante pour ses interlocuteurs. Sa mobilité d’esprit est aussi frappante que celle de son visage qui sait exprimer en quelques secondes les sentimens les plus divers, et la seule critique qu’on pourrait faire de cette verve inlassable et étincelante, c’est que la favorite effleure les sujets les plus dissemblables sans avoir le temps de les approfondir.

Telle qu’elle est, avec ses qualités et ses défauts qu’elle exagère souvent sans mesure, Anne de Caumont la Force dominera pendant quinze années le Comte de Provence d’une façon absolue, et lorsque, jaloux de cette influence qui nuit à la sienne et se met en travers de ses ambitions, d’Avaray parviendra à les éloigner l’un de l’autre en grossissant les inconséquences de la favorite, en se faisant l’écho de l’histoire jamais prouvée des jumeaux de Rotterdam, ce sera pour le Comte de Provence un déchirement inexprimable ! Ce prince plus spirituel que tendre, plus diplomate qu’amoureux, a alors des accens de douleur sincère et de réelle affliction, et lorsque d’Avaray insiste sur cette naissance prétendue, c’est avec un morne désespoir qu’il lui dit : « Ne m’accablez pas ! »

Mme de Balbi était trop en vue pour ne pas exciter la jalousie et l’envie, mais elle était si prompte à la riposte qu’on ne se risquait guère à la provoquer ostensiblement. Sans être méchante, elle avait le trait piquant, et il était plus prudent de ne pas s’exposer ouvertement à ses vengeances ou à ses railleries. « Aux charmes de la figure et de l’esprit, a dit d’elle le comte de Neuilly, elle joignait la coquetterie et un fonds de méchanceté qui la poussait à se compromettre elle-même pour nuire aux femmes qu’elle n’aimait pas (et il y en avait beaucoup) et aux hommes qu’elle n’aimait plus. »

Spirituelle, nous l’avons dit, elle l’était fort ; c’est elle qui plus tard déclarera à la jeune Mme de Maillé la Tour Landry lui faisant sa visite de noces : « Madame, vous passez la permission d’être jolie, » ce dont la jeune marquise interloquée fut à la fois confuse et charmée.

On craignait ses traits acérés : « Madame, je vous recommande