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avant notre ère : « En Égypte, les prêtres chantent les dieux sur les sept voyelles, en les mettant à la suite l’une de l’autre, et, à la place de l’aulos ou de la cithare, c’est le son de ces lettres qui se fait entendre d’une manière agréable[1]. »

Même référence chez un auteur grec, Nicomaque de Gérase, au siècle suivant : « Les sons de chacune des sept sphères produisent un certain bruit, la première réalisant le premier son, et à ces sons l’on a donné les noms de voyelles… Voilà pourquoi les théurges, lorsqu’ils honorent la divinité, l’invoquent symboliquement avec des clappemens de langue et des sifflemens, avec des sons inarticulés et sans consonnes. » Et M. Gastoué, qui rapporte ces textes, achève ainsi d’analyser la croyance qu’ils nous révèlent : « En résumé, c’est se rendre favorable la divinité que de s’unir aux sons des astres en émettant la voyelle à laquelle ils correspondent ; c’est se rendre favorables les sphères elles-mêmes que l’on fait entrer en vibrations. »

Quoi qu’il en soit de ces rêveries, de ces relations ou de ces conformités imaginaires, nous surprenons ici, dans une formule, dans un rite vocal pratiqué par l’idolâtrie, ou tout au moins par la superstition, le prototype de l’un des élémens principaux du chant chrétien : le mélisme ou la vocalise.

Nul n’ignore quelle en devait être, quand elle passa de l’église au théâtre, surtout au théâtre italien, la fortune d’abord, puis la décadence et la ruine. « Badiner sur les voyelles, » c’est encore ainsi que la définira bien des siècles plus tard le président de Brosses. Notre siècle à nous en a dit trop de mal. Sans doute la vocalise a dégénéré en vain exercice de virtuosité. Mais elle eut sa vertu naguère, et même elle la pourrait recouvrer encore : vertu d’expression quelquefois, vertu le plus souvent de beauté, de beauté musicale pure. Balzac, le Balzac de la Comédie humaine, a très bien discerné cette dernière et quelques pages de Massimilla Doni, par exemple, ne sont pas seulement consacrées à définir « la roulade, » mais, par d’ingénieuses raisons, à la justifier.

On a pu s’étonner, et d’aucuns s’étonnent encore de rencontrer la vocalise dans le plain-chant. Elle y a pourtant sa place et son rôle. Dans cette forme très verbale de la musique, j’entends où la parole est maîtresse, la vocalise représente pour ainsi dire les droits et sauve la liberté de la pure musique. C’est par la vocalise et c’est en elle que le son, que le chant, échappant aux entraves des mots, se répand et se

  1. Démétrius de Phalère.