Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne le voulez pas, eh bien ! vous êtes un gouvernement de scélérats, un gouvernement de bandits, un gouvernement de meurtriers, et le devoir des prolétaires, c’est de se soulever contre vous, c’est de prendre, c’est de garder les fusils que vous leur mettez dans la main ; mais non pas… » Ici, l’orateur a été interrompu par de bruyans applaudissemens : il avait été compris. « Ah ! citoyens, a-t-il dit sur un ton de bonhomie, je n’ai pas de chance avec les amis les plus passionnés d’Hervé. Quand je fais des réserves sur la partie de sa doctrine qui me parait fausse, ils m’interrompent par leur désapprobation ; et quand je formule la partie de sa doctrine qui est la doctrine même du socialisme, qui me parait vraie, ils m’interrompent encore par un excès d’approbation. » Nous plaindrions, en effet, M. Jaurès, si nous avions de la pitié de reste. Ce n’est pas lui qui a été le héros du meeting de Tivoli, mais M. Hervé. Lors même qu’on l’applaudissait, c’est à M. Hervé qu’allaient les applaudissemens. Perdu, peut-être sans retour, auprès des radicaux, M. Jaurès est remplacé auprès des socialistes révolutionnaires. Discrédité dans tous les partis, en France et à l’étranger, il aura de la peine à remonter la pente qu’il a si rapidement descendue. A-t-il du moins bien servi le socialisme ? A-t-il augmenté sa force dans le pays ? C’est à lui-même que nous le demandons. « Je ne fais pas le fanfaron, répond-il : je sais très bien que nous allons traverser des temps difficiles ; je sais qu’il se prépare contre nous une coalition radicale et conservatrice… et je n’hésite pas à dire que cette coalition pourrait nous faire perdre une large part des mandats que nous ayons en ce moment au Parlement. Mais qu’importe ? » Il paraît que ce : « qu’importe ? » a été couvert de nouvelles acclamations, et nous n’en sommes pas surpris : la stérilité parlementaire a fait tomber le parlementarisme dans le plus profond mépris auprès des socialistes. Mais les radicaux ne partagent pas ce sentiment, surtout depuis que le mandat parlementaire est devenu d’un si bon rapport. Voilà pourquoi ils se séparent d’un parti qui annonce lui-même sa prochaine défaite. Ils ne diront jamais : « Qu’importe ? » lorsqu’on leur annoncera la perte de leurs mandats. Convenons d’ailleurs qu’il y aurait de leur part quelque niaiserie à les sacrifier à une alliance qui leur est devenue insupportable et à une opinion qui n’a jamais été la leur.

Pour ce qui est du discours de M. Jaurès, on nous permettra de ne pas exprimer longuement l’indignation qu’il a provoquée chez nous. Quoi de plus inutile auprès de nos lecteurs ? Leur conscience n’en est pas moins révoltée que la nôtre. De qui parle M. Jaurès lorsqu’il dit :