Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

torale est désormais impossible avec eux. Il n’est pas jusqu’à M. Ranc, l’apôtre le plus fidèle du Bloc, le théoricien de l’union des gauches, le doctrinaire de l’entente quand même entre radicaux et socialistes, qui ne confesse, au milieu de beaucoup de gémissemens, que cette entente est devenue pour le moins bien difficile. « Jaurès s’est trompé, dit-il, d’abord en faisant l’unification, puis en laissant faire Hervé. » Nous allons voir qu’il ne s’est pas contenté de « laisser faire » Hervé. Et M. Ranc conclut avec tristesse : « Si les progressistes veulent venir à nous, ils seront les bienvenus. » Les radicaux ont fini par s’apercevoir, et, certes ! ils y ont mis le temps, qu’entre M. Jaurès et eux, il y avait une barrière, qui n’est rien moins que la patrie.

On se demandait si M. Jaurès, comprenant la lourde faute qu’il a commise, chercherait à en atténuer les conséquences. Il a prononcé, le 7 septembre, un grand discours apologétique au meeting de Tivoli Vauxhall, devant une foule qui, d’après son journal, se composait de 6 000 personnes. Il avait promis de laver le socialisme français des odieuses calomnies dont la presse bourgeoise avait cherché à le salir : jamais promesse n’a été plus mal tenue. M. Jaurès est un orateur qui s’enivre de sa propre parole, et parait par momens n’en être plus tout à fait maître. Il sacrifie tout à l’effet immédiat à produire sur son auditoire : or, à Tivoli, l’immense majorité de cet auditoire était acquise aux idées de M. Hervé. M. Jaurès a essayé, en commençant, d’introduire des distinctions parmi ces idées, d’approuver les unes, de faire timidement des réserves sur les autres ; mais il s’est aperçu aussitôt que l’assemblée devenait houleuse. Alors il a changé de tactique. Nous laissons de côté toute la rhétorique de son discours : elle est, comme toujours, abondante et diffuse. Une phrase seule compte pour nous, et le mieux est de la reproduire textuellement. Après avoir pendant quelques temps livré à toutes les pointes de son ironie la Conférence qui végète laborieusement à La Haye, il a invité les travailleurs de tous les pays à prendre « dans leurs fortes mains de prolétaires » une cause qui dépasse la portée des diplomates, et de résoudre d’une manière pratique le problème de la paix et de la guerre. Rien de plus facile : il s’agit tout simplement de rendre l’arbitrage obligatoire, et de donner une sanction à cette obligation. « Quand un litige commencera, s’est-il écrié, nous dirons aux gouvernemens : Entendez-vous par vos diplomates. Si vos diplomates n’y réussissent pas, allez devant les arbitres que vous avez désignés vous-mêmes, inclinez-vous devant eux. Pas de guerre, pas de sang versé : l’arbitrage de l’humanité, l’arbitrage de la raison. Et si vous