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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/525

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voués aux aventures, et d’autres peuples songeurs, aptes à se remâcher la cervelle ? Mais comment les mêmes races viennent-elles, les unes à déchoir si tôt, les autres à prospérer si tardivement ? Et s’il n’y a pas, ainsi qu’on le prétend, une « vie » des peuples, avec enfance, maturité et déclin, comment tels d’entre eux semblent-ils mourir ; de sorte que les individus qui les composent arrivent, sans croisemens ni infusion de sang extérieur, à n’avoir plus rien de ce qu’avaient leurs pères qui habitaient avant eux le même sol ? Ils n’ont plus les mêmes passions, le même caractère, les mêmes aptitudes, les mêmes richesses, les mêmes mœurs, la même âme.

Est-ce au contraire le « cru » qui domine le « plant, » le terroir qui forme la race ? Sont-ce les conditions matérielles qui pétrissent les nations, les excitent ou les dépriment, les fortifient et les développent, ou les débilitent et les tarissent ? Alors comment des groupes situés en mêmes climats, ou dans des milieux identiques, diffèrent-ils autant ? Le système de gouvernement y est-il pour quelque chose ? Non certes ! puisque les républiques du Nord, du Centre et du Sud de l’Amérique, dotées du même régime, arrivent à des résultats très dissemblables.

Les prospérités comme les misères des nations, indépendantes de l’agitation des politiques et de la phraséologie des journaux, ont des causes peu apparentes qui tiennent bien plus aux ressources du sol et aux découvertes scientifiques, donnant du prix à ces ressources, qu’elles ne tiennent à la tournure d’esprit des habitans. Les Américains d’il y a quarante ans n’étaient pas des hommes supérieurs aux Américains d’il y a deux cents ans, ils n’avaient aucun génie très extraordinaire pardessus les autres peuples de l’univers ; mais, comme dans un conte de fées, ils n’ont eu qu’à frapper de leur pic le continent qui les portait pour faire surgir de ses entrailles le Génie de la Force, la houille, ce squelette végétal des temps où la terre vivait en égoïste, pour elle-même, débris fossile d’un monde sans date et ignoré, qui allait être précisément, en ce siècle, l’agent de tout un monde nouveau.

En Europe, le secret de presque toute la supériorité industrielle de l’Angleterre, de presque tout le progrès contemporain de l’Allemagne, c’est l’abondance du charbon qui engendre et nourrit à bon marché ces millions d’esclaves modernes, dociles, muets et sobres : les machines. Et le secret de l’infériorité