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rentrait par où on était sorti ; je ne voulais pas effrayer chez moi en chargeant mes gens de cette commission, et j’allai moi-même chez Mme de Jumilhac, dans la rue Neuve-des-Mathurins, prévenir son portier de m’ouvrir si je venais frapper la nuit.

Au retour, je visitai le boulevard, encombré d’arbres abattus, et de tout ce qu’on avait pu se procurer dans le voisinage, pour construire des barricades. Celles-là étaient fort incommodes à franchir. Il fallait escalader les unes, ramper sous les autres.

Mais partout les gens qui les gardaient offraient une assistance également obligeante et gaie, appelant le plus propre d’entre eux pour ne pas salir les vêtemens des dames. Pas un propos grossier. Jamais la politesse et l’urbanité n’ont mieux régné dans Paris. Un instinct secret semblait avertir que le moindre choc pouvait amener une explosion. Au reste, la pensée d’une opposition aux événemens qui se passaient ne venait à personne.

Je parvins à la rue de Rivoli. Il y avait à peine trois heures qu’on s’y battait avec fureur. Les grilles du jardin des Tuileries étaient fermées et gardées par des sentinelles, portant le costume que j’ai décrit. Je vis dans la rue une barricade s’élevant très haut et composée des chaises du jardin.

Au moment où je passai, une assez grande quantité de dames avaient en partie dérangé cette barricade. Elles s’étaient emparées de quelques chaises ; et là, bien mises, bien parées, avec des chapeaux élégans à plumes ou à fleurs, elles étaient tranquillement assises à l’ombre de leurs ombrelles et de la barricade, comme elles l’auraient été sous les arbres des Tuileries. Ce spectacle curieux s’est continué jusqu’au dimanche où le jardin a été remis en possession de ses sièges.

J’entrai chez l’ambassadeur de Russie, je ne l’avais pas vu depuis l’avant-veille. Je le trouvai fort troublé ; il avait eu sous les yeux la débandade des troupes et me la raconta en détail. Il était aussi surpris qu’indigné de n’avoir reçu aucune communication de M. de Polignac dans de telles conjonctures. Il Tétait beaucoup aussi des joies de lord Stuart, l’ambassadeur d’Angleterre, elles étaient poussées jusqu’à l’indécence.

Pozzo[1]croyait, lui aussi, à la probabilité d’une attaque sur Paris, et s’inquiétait fort de la position de son hôtel. Il n’y avait

  1. Ambassadeur de Russie à Paris.