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aucun parti pris dans son esprit ; il était alarmé, troublé, effrayé, et se disait malade pour expliquer sa contenance.

Je rentrai chez moi. J’envoyai acheter quelques jambons, un sac de riz et un sac de farine. Je m’attendais que ces objets auraient augmenté de prix : ils n’avaient pas varié, tant la sécurité était grande.


Vers la fin du jour, j’entendis une voix bien connue demander si j’y étais. Je me précipitai sur l’escalier au-devant de M. de Glandevès, gouverneur des Tuileries. J’en étais fort inquiète, et j’éprouvai une grande joie à le voir. Nous nous embrassâmes avec de vrais transports. Il me raconta qu’il avait encore trouvé son appartement libre.

La présence d’esprit de son cuisinier, qui avait adopté bien vite le costume de rigueur et, un fusil sur l’épaule, s’était mis en sentinelle devant sa porte et en avait refusé l’entrée avec ces seuls mots : « J’ai ma consigne, on ne passe pas, » lui avait laissé le temps d’ôter son uniforme, de prendre son argent et ses papiers.

Deux fourriers du palais, en chemise à manches retroussées, en pantalon et le fusil sur l’épaule, l’avaient escorté jusque dans la rue Saint-Honoré, d’où il avait gagné la maison de sa sœur dans la rue Royale. Il comptait s’y tenir caché ; mais, voyant tout si tranquille, il avait essayé de venir chez moi. Il y était arrivé à travers les barricades et les politesses de leurs gardiens.

Il me raconta toutes les folies de ce malheureux Polignac pendant ces journées, sa confiance béate et niaise, et en même temps sa disposition à la cruauté et à l’arbitraire ; son mécontentement contre le maréchal (Marmont) de ce qu’il se refusait à faire retenir, comme otages, les députés, venus en députation chez lui, le mercredi matin[1]. Il s’en était expliqué avec une extrême amertume à M. de Glandevès, en disant qu’une telle conduite, si elle n’était pas celle d’un traître, était au moins d’une inconcevable faiblesse.

M. de Glandevès ayant répondu qu’il comprenait très bien le scrupule du maréchal, M. de Polignac reprit : « Cela n’est pas étonnant quand on vient de serrer la main à M. Casimir Perier.

  1. MM. Laffitte, Casimir Perier, le comte Lobau, le général Gérard et M. Mauguin, venus faire une démarche de conciliation auprès du duc de Raguse. M. de Polignac, mis au courant, refusa de les recevoir.