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auquel il venait d’assister, bien ennuyé de son métier d’écuyer, et étouffant du besoin de conter ce qu’il avait vu à Glandevès, qui lui-même ne pouvait s’en taire. Dans de pareils momens, on pèse peu ses mots et la vérité échappe même aux courtisans.

Le fait est que le Roi, livré à des idées mystiques et encouragé par la correspondance de M. de Polignac, était persuadé que tout allait le mieux du monde, et ne voulait pas se laisser détourner de la route qu’il croyait très pieusement lui être tracée par la Sainte-Vierge.

Le comte de Broglie[1], gouverneur de l’école de Saint-Cyr, arriva dans l’après-midi du mercredi à Saint-Cloud, fort effrayé de ce qu’il avait appris et de ce qu’il avait vu en traversant Versailles. Le Roi l’écouta patiemment et prit la peine de le rassurer longuement. Le voyant enfin se retirer toujours aussi inquiet, il l’arrêta par le bras, et lui dit : « Comte de Broglie, vous êtes homme de foi, vous. Ayez donc confiance, Jules a vu la Sainte-Vierge encore cette nuit ; elle lui a ordonné de persévérer et promis que ceci se terminerait bien. » Tout dévot qu’était le comte de Broglie, il pensa tomber à la renverse à une pareille confidence.


Je reviens à la soirée du jeudi.

Vers minuit, je me retrouvai seule, plus inquiète et plus effrayée que jamais. Je recommandai à tout mon monde de se tenir prêt à vider les lieux au premier appel, et je me jetai tout habillée sur mon lit.

J’avais souvent entendu dire au maréchal, — nous ignorions qu’il ne commandait plus, — que le meilleur moment pour attaquer était un peu avant le point du jour ; et j’attendais le lever du soleil comme le signal de notre salut.

Jamais nuit aussi courte ne me sembla aussi longue. Vers les trois heures du matin, un bruit de mousqueterie se fit entendre. J’ai su le lendemain que deux fortes patrouilles s’étaient rencontrées, sans se reconnaître, à la barrière de Clichy. Je crus que c’était là le commencement de l’attaque. Je me jetai à bas de mon lit, je sonnai, j’assemblai mes gens.

C’est le moment où j’ai ressenti l’effroi le plus profond pendant toutes ces aventureuses journées. Cependant le feu avait

  1. Le prince de Broglie-Revel, maréchal de camp.