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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/572

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cessé. Nous écoutâmes avec une grande anxiété. Le silence le plus complet régnait dans la ville.

De temps en temps, un coup de fusil isolé faisait résonner les échos ; mais ils venaient de tous les points, et n’indiquaient pas une attaque. Enfin, le soleil se leva brillant et radieux ; je respirai et j’allai courtiser Je sommeil, mais bien vainement. Je me suis très bien portée à cette époque ; mais j’ai été douze fois vingt-quatre heures sans fermer les yeux une minute, tant l’excitation du moment était grande. Nous étions tous sous une influence électrique.

Le vendredi 30 juillet, si fertile en grands événemens à l’Hôtel de Ville, au Luxembourg, au Palais-Bourbon, à Saint-Cloud, à Neuilly, me laisse moins de souvenirs à relater que les autres jours. Cela est naturel. Le théâtre n’était plus dans la rue, découvert à tous les yeux, et les acteurs se trouvaient trop occupés de leurs rôles pour avoir le temps d’en rendre compte.

Je reçus le matin la réponse de M. de Laborde à mon billet de la veille. Il me mandait l’avoir reçu à minuit, au retour de l’Hôtel de Ville où le duc de Mortemart avait été attendu jusqu’à cette heure. Il y retournait à six dans la même intention ; mais il ajoutait : « Je crains que ce matin il ne soit trop tard pour le succès de sa mission. »

Il me promettait un laissez-passer pour M. de Glandevès, auquel, en effet, M. Casimir Perier en expédia un de très bonne heure.

Je dois noter que ce vendredi, tous les ouvriers qui travaillaient chez moi revinrent à leur ouvrage, le plus tranquillement du monde. Plusieurs avaient pris une part active aux combats des deux jours précédons, et racontaient ce qui s’était passé autour d’eux avec la plus héroïque simplicité. Je vis aussi rouvrir les ateliers dans mon voisinage.

Cependant, les défenseurs des barricades restaient à leurs postes, on les voyait passer le fusil sur l’épaule et un pain sous le bras. Quelques-uns, voulant afficher un air plus militaire, plaçaient leur morceau de pain au bout de leur baïonnette ; mais tous étaient également pacifiques et polis.


J’allai chez l’ambassadeur de Russie, il avait fait bien du chemin depuis la veille. Outré de l’oubli où on laissait le corps