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toute la vivacité la plus délicate, la plus exquise, aux chagrins des autres, de les apprécier et d’y compatir. L’indulgence est le fond où elle, puise constamment le fard dont elle embellit les vertus les plus solides qu’une femme et une reine puisse posséder.

On croira peut-être que je trace un panégyrique, ce serait à mon insu. Je la représente telle que je la vois.

Mes relations personnelles avec Mademoiselle datent de 1816 à 1817. J’ai toujours rendu hommage à son cœur et à son esprit, sans jamais avoir eu pour elle ce qui peut s’appeler de l’attrait. Cependant ses qualités sont à elle, ses inconvéniens sont nés des circonstances où elle a été placée.

Mademoiselle est la personne la plus franche et la plus incapable de dissimulation qui se puisse rencontrer. Voilà ce qui lui a fait tant d’ennemis.

Les premiers épanchemens de sa jeunesse ont été accueillis par la malveillance. Il lui en est resté de l’amertume. Voilà ce qui lui en a mérité.

Son père[1]était charmant pour elle. Elevée par Mme de Genlis, dans des idées plus que révolutionnaires, elle avait vu ce malheureux prince s’avancer graduellement dans une carrière si fatalement parcourue, sans en être effrayée. Elle était trop jeune pour en juger par elle-même alors ; et elle n’a jamais voulu consentir depuis à reconnaître que ce fut celle du crime, du crime sans excuse.

On a prétendu le lui faire proclamer. Tout le temps de son séjour auprès de Mme la princesse de Conti[2]a été employé à obtenir d’elle une démarche où elle abandonnerait la mémoire de son père. Forte des souvenirs de sa tendresse, elle s’était fait une vertu de la résistance. Le résultat en a été de passer les années de son adolescence dans la solitude de sa chambre.

Les émigrés formant la société de Mme la princesse de Conti refusaient de se trouver avec elle ; et, de son côté, elle ne voulait faire aucune concession.

  1. Louis-Philippe-Joseph, tristement célèbre sous le nom de Philippe-Égalité (1747-1794).
  2. Fortunée-Marie d’Esté, fille de François III duc de Modène (1698-1780) et de Charlotte d’Orléans fille du Régent. Elle avait épousé en 1759 Louis-François-Joseph, dernier prince de Conti (1734-1814), fils de Louis-François (1717-1776) et de Louise-Diane-Élisabeth d’Orléans (1716-1736) dernière fille du Régent. La princesse de Conti mourut à Trieste.