Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/588

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sa tante, qui avait beaucoup d’esprit, lui témoignait de l’affection, ne la violentait pas, ne la blâmait même pas, mais n’avait pas le courage de la soutenir contre l’esprit de parti.

Plus tard elle espéra trouver auprès de sa mère une entière sympathie, et elle arriva en Espagne toute pleine d’illusions filiales. Elle y fut mal accueillie et trouva Mme la duchesse d’Orléans[1]placée dans une situation si fausse que le séjour de Barcelone lui devint bientôt insupportable.

Elle dut écrire à ses frères que sa position n’y était pas convenable. On voit combien tous les sentimens de sa jeunesse, tous ceux qui font ordinairement la gloire et le bonheur des filles, ont été froissés.

Avec ces données on peut, je crois, comprendre à la fois les qualités et les défauts de Mademoiselle.

Elle est franche, parce qu’elle s’est accoutumée à ne point cacher ses impressions, sans s’inquiéter si elles étaient opportunes ou devaient plaire aux autres. Elle n’est pourtant pas expansive parce qu’elle a été repoussée par tout ce qui aurait dû, dans sa première jeunesse, développer les facultés aimantes de son cœur.

Aussi ce cœur s’est-il donné avec la passion la plus vive et la plus exclusive à son frère, le premier qui lui eût fait goûter les douceurs de l’intimité, le seul en qui elle puisse trouver entière sympathie pour la grande croix qui pèse sur son cœur bien plus que sur son front.

La vie et la mort de leur père sera toujours un lien plus puissant entre eux que peut-être ils ne se l’avouent à eux-mêmes. Et sur ce point, tous les deux, si faciles en général, ils sont susceptibles et même rancuneux à l’excès.

Jamais ils n’ont su être à leur aise avec la famille royale, surtout avec Madame la Dauphine, qui, de son côté, les a constamment traités avec une répulsion marquée.

Mademoiselle a conservé beaucoup d’amertume contre la noblesse et les émigrés qui ont abreuvé sa jeunesse de dégoûts, comme « classes. » Son excellent cœur leur pardonnerait à tous, pris individuellement. Mais là encore les formes sont contre elle et prennent l’apparence d’une sorte de vengeance.

  1. Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon-Penthièvre (1753-1821), mariée, en 1769 au duc d’Orléans, depuis Philippe-Égalité, alors duc de Chartres. Mme de Boigne en a plusieurs fois parlé dans les volumes précédens, t. I, ch. XXVI ; t. II, ch. X et XX.