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faiblesse dans l’affection de Mademoiselle, quoiqu’elle s’associe tout à fait à l’excellente éducation qu’on leur donne.

Personne au monde, je crois, n’a plus complètement l’esprit d’affaires que Mademoiselle. Elle découvre avec perspicacité le nœud de la difficulté, s’y attache, écarte nettement toutes les circonlocutions, n’admet pas les discours inutiles, saisit son interlocuteur et le réduit à venir se battre, en champ clos, sur le point même.

On comprend combien ces formes ont dû paraître, désagréables dans des circonstances où presque tout le monde aurait voulu ne s’expliquer, et ne s’engager, qu’à peu près.

Cette disposition de l’esprit de Mademoiselle serait une qualité inappréciable si elle était à la tête des affaires ; mais c’est un véritable inconvénient, située comme elle l’est. Son rôle aurait dû être tout de nuance, et elle ne sait employer que les couleurs tranchantes.

Cela lui a fait personnellement beaucoup d’ennemis. Il en est rejailli quelque chose sur son frère dont on la croyait l’interprète. Elle s’en est aperçue, et le désir de ne point nuire à ce frère, tant aimé, a gêné ses discours et ses actions.

Si bien qu’une personne, dont la franchise va jusqu’à la rudesse, a acquis la réputation d’une extrême fausseté ; et qu’en poussant l’indulgence au-delà des bornes ordinaires, elle passe pour haineuse.

Pendant le jugement des ministres de Charles X, je me rappelle qu’un soir où l’on était fort inquiet, le maréchal Gérard établissait le danger qu’il y aurait pour le Roi de chercher à sauver M. de Polignac. Mademoiselle lui répondit d’un ton que je n’oublierai jamais : « Eh bien, maréchal, s’il le faut, nous y périrons. » Sa figure ordinairement commune était belle en ce moment.

Je lui dois la justice qu’elle sait écouter la vérité, même lorsqu’elle lui déplaît, non seulement avec patience, mais avec l’apparence de la reconnaissance. Je ne la lui ai pas épargnée dans maintes circonstances ; et, quoique nous n’ayons peut-être pas ce qu’on appelle du goût l’une pour l’autre, elle ne m’en a que mieux traitée.

Je reviens au 1er août. Mademoiselle me chargea de ramener Mme de Valence[1]et ses petites filles. Nous montâmes toutes

  1. La vicomtesse de Valence, fille de Mme de Genlis.