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historique. Toute tradition et toute fable peut toujours servir d’enveloppe à quelque vérité. Mais, à défaut de garantie ou de signe certain qui permette de la distinguer, le plus sûr est de l’y laisser reposer, jusqu’au jour où quelque indice certain, venu d’ailleurs, offre le moyen de l’en dégager.

L’Iliade et l’Odyssée se trouvent ainsi plus que jamais sans histoire extérieure, du moins sans histoire qui leur soit propre. Il y a plus. Ce qu’on croyait savoir de leurs rapports avec les autres poèmes épiques de la Grèce s’est aussi modifié depuis une vingtaine d’années. On admettait qu’elles avaient suscité d’autres œuvres de même nature et de même esprit, qui en étaient comme une sorte de prolongement et qui constituaient ensemble ce qu’on nommait » le cycle. » Or, la notion même du cycle est devenue singulièrement obscure et incertaine. Déjà ébranlée dans ses fondemens par Wilamowitz-Moellendorff, dès 1884[1], elle a été tout près de tomber en ruines après la découverte d’une partie nouvelle de la compilation dite « Bibliothèque d’Apollodore[2]. » Aujourd’hui, on s’accorde généralement à reconnaître que l’étude doit en être reprise sur de nouveaux frais. Mais, quoi qu’on doive penser de chacun des poèmes cycliques en particulier, ce qui apparaît nettement, c’est que l’Iliade et l’Odyssée ne se distinguent, par aucun caractère spécifique, des autres productions du même genre qui les ont précédées, accompagnées ou suivies. Elles sont nées d’un mouvement d’esprit très large et très fécond, qui a fait surgir, pendant une période de temps plus ou moins longue, une abondance de récits analogues. Or, c’est l’ensemble de ces récits, ou du moins la plus grande partie d’entre eux, que la Grèce a reçus sous le nom d’Homère, et ce n’est que peu à peu qu’elle a reconnu l’impossibilité de les attribuer tous à un même auteur. Elle s’est mise alors à les distinguer, à leur faire à chacun une histoire. Ce travail, où se mêlaient la critique et la fantaisie, n’était encore qu’ébauché au Ve siècle avant notre ère, au temps d’Hérodote. Cent ans plus tard, autour d’Aristote, si l’on avait pris l’habitude de mettre à part l’Iliade et l’Odyssée comme deux œuvres supérieures, on les attribuait

  1. Homerische Untersuchungen, Berlin, 1884 ; p. 328-384 (vol. VII des Philologische Untersuchungen).
  2. Epitoma Vaticana, découverte et publiée par R. Wagner en 1891, Leipzig, Hirzel ; Analecta hierosolymitana, fragmens trouvés au monastère de Saint-Sabbas, par Papadopoulos Kerameus et publiés par lui, sous forme définitive, à Saint-Pétersbourg, en 1891 également.