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étroitement ensemble les « voyages » et la « vengeance. » On ne peut nier, en effet, qu’elle ne prépare à la fois ces deux autres parties du poème : d’une part, elle oblige notre pensée à se porter vers Ulysse absent et à le chercher, pour ainsi dire, à travers les mers ; d’autre part, en nous offrant le spectacle de l’insolence des prétendans, non seulement elle justifie la vengeance, mais elle la rend désirable. Ce dessein implique une vue d’ensemble de tous les chants odysséens, une intention consciente d’en former un tout. Et ce dessein est fort ancien, puisqu’il est probablement antérieur au voyage de Télémaque, et que nous avons noté plus haut, dans une des scènes qui dépendent de ce voyage, une conception religieuse remontant au VIIIe siècle. Il résulte de là que, dès ce temps, l’ensemble des chants odysséens, encore soumis à de nombreuses variations de détail, était cependant assez arrêté pour qu’on pût l’embrasser d’un même regard.


VI

Un dernier fait, dont on ne saurait méconnaître l’importance dans l’histoire des poésies homériques, peut aider à la mieux comprendre dans son ensemble. Le texte de ces poésies, tel qu’il nous est parvenu, provient d’une rédaction unique et d’une rédaction athénienne. C’est un des mérites de P. Cauer d’avoir mis définitivement ce fait en pleine lumière, il y a déjà une trentaine d’années ; et les découvertes des papyrus qui ont eu lieu depuis lors n’ont fait que le rendre plus manifeste. Ces papyrus, comme d’ailleurs maint passage des commentaires anciens, montrent sans doute qu’il y avait, dans les exemplaires répandus à travers le monde antique, un grand nombre de petites divergences de détail. Mais ces divergences provenaient d’inexactitudes, d’oublis, de confusions, quelquefois d’opinions individuelles ; elles ne se rapportent jamais à une tradition divergente, émanée d’une autre source. Certaines fautes de métrique, certaines formations irrégulières, certaines contractions verbales, qui se retrouvent dans tous les exemplaires indifféremment, ne s’expliquent que par l’influence d’une prononciation et d’une rédaction athéniennes. Il faut donc admettre que tous les textes anciens dérivent de cette rédaction unique.

Les témoignages la placent au VIe siècle. On nous rapporte qu’elle fut faite à Athènes, par les ordres de Pisistrate, en vue ou