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« après un échange de part et d’autre de beaucoup de marques d’amitié et de considération. » Et le capitaine des contrebandiers donna quittance de cette nouvelle somme de 3 000 lb.

Enfin, sur les cinq heures, après de nouvelles et copieuses libations dans les auberges, les Mandrins quittèrent Bourg et s’éloignèrent par la route de Chalamont-en-Dombes. Ils chantaient à tue-tête. La plupart d’entre eux étaient ivres et se tenaient avec peine à cheval.

Après leur départ, l’intendant Joly de Fleury fit peser le tabac livré : le compte s’en trouva exact.

On a dit comment Mandrin avait éveillé à Bourg l’intérêt de MM. de Chossat et de Saint-André. Il s’était entretenu avec eux en toute confiance. Ses foudroyantes expéditions lui avaient révélé sa vocation. Il rêvait de devenir soldat, de servir son pays. Il avait déjà le tempérament des hommes de la Révolution. Il était très patriote. MM. de Chossat et de Saint-André se firent les interprètes de ses désirs auprès de Joly de Fleury, et celui-ci les transmit favorablement au ministre ; mais la demande fut repoussée.

« Il était sans exemple, lisons-nous dans les registres des délibérations de la communauté de Gex ; il était sans exemple, et la postérité aura de la peine à le croire, que, dans un État aussi respectable qu’est la France, une troupe de bandits, sous le nom de contrebandiers, ait eu la témérité d’entrer armés dans plusieurs villes du royaume, d’y enlever les caisses des fermes du Roi, d’exiger des contributions des habitans, d’ouvrir les prisons royales et d’en sortir les prisonniers. »

De ce moment aussi, Mandrin connut les gloires de la presse. « La nouvelle de ces beaux faits, écrit le président Terrier de Cléron, méritait d’embellir les papiers circulaires de Hollande, de Berne et d’Avignon. » Dans les cafés et les promenades publiques, les nouvellistes ne s’entretenaient que de lui. « On parlait du célèbre Mandrin à Marseille, tout le long de la côte et jusqu’aux Echelles du Levant. » La vente de son portrait, « tel qu’il parut à Bourg, » eut un succès si grand que l’administration dut la faire interdire.

En quittant Bourg, les Mandrins s’engagèrent sur la route de Lyon. Ils entraient dans la partie marécageuse de la Dombes, parsemée d’étangs, des centaines d’étangs, parmi les taillis de bouleaux et de chênes ; puis des landes, des jachères ; sur des