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mottes aux pentes mollement inclinées, des fermes isolées comme aplaties sous leurs toitures basses et allongées ; par endroits, des terres d’une blancheur crayeuse, creusées en assiettes : ce sont d’anciens étangs mis en culture. Au-delà de Servas ce caractère se précise encore : une lagune immense d’où émergent de vastes surfaces de bois et de terres labourées, des horizons lointains.

Le soir même, 5 octobre, les Mandrins arrivent à Saint-Paul-de-Varax. Ils y passent la nuit et reprennent le lendemain matin, 6 octobre, en tournant brusquement vers l’Ouest, la direction de Châtillon-sur-Chalaronne. La route est comme une berge enveloppée par les flots. Parmi les étangs qu’elle traverse sur des chaussées étroites, la longue file des contrebandiers semble, de loin, s’avancer dans l’eau. Sur la droite les étangs sont bordés de bois ; des vols de mouettes blanches jettent leur image mouvante sur les eaux tranquilles, où séjournent des troupeaux entiers, immobiles durant des heures, trempés jusqu’au poitrail ; des bergères de quinze ans y poussent vigoureusement des poulains, campées sur eux à califourchon, sans autres rênes que leurs crinières, car, aux chevaux comme aux bœufs l’eau des étangs fortifie les muscles. Vers le Sud, au rez du Grand-Bataillar, comme se nomme le principal de ces petits lacs, les plans s’effacent, les horizons se noient dans la brume en d’autres étangs qui se perdent dans la direction de Marlieux. C’est une impression de mer, de mer grise et délaissée, comme celle que donnent la Camargue et les lagunes de la Crau. En cette journée du 6 octobre, gravissant les collines plantées de genêts, les Mandrins arrivent à Châtillon-sur-Chalaronne, aux confins de la principauté de Dombes et de la Bresse. Les contrebandiers frappent à l’huis du receveur des gabelles que Mandrin, « le chapeau bas et le pistolet à la main, » invite à ne pas lui refuser une contribution de 2,500 lb. que le receveur ne lui refusa pas.

De Châtillon, les margandiers prennent la route de Saint-Trivier, dans la principauté de Dombes. Les étangs ont disparu. Les cavaliers suivent la vallée de la Chalaronne. au-delà de Thoissey, apparaissent à l’horizon, dans une nappe de lumière, les monts du Beaujolais.

Le 9 octobre, au soir, les Mandrins entraient à Roanne. Ici encore notre jeune « capitaine » se rendit à la prison. En l’absence du geôlier, Jean Chartier, il s’y fit apporter les registres d’écrou