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Si à la douleur se joint quelque autre sentiment, c’est la sollicitude pour l’intérêt général-, et lorsque l’horreur dont il est saisi lui fait s’écrier : « La paix, à quelque prix que ce soit ! » il répète le cri qu’il poussait depuis trois ans. Quelques jours après seulement, dans une lettre adressée par lui au vidame d’Amiens (devenu depuis peu le duc de Chaulnes), on surprend quelque trace d’un espoir déçu. Ce n’est plus seulement la douleur, c’est l’accablement et le détachement de toute espérance humaine qui se traduisent dans cette lettre : « Je ne puis, mon bon et cher duc, résister à la volonté de Dieu qui nous écrase. Il sait ce que je souffre ; mais enfin, c’est sa main qui frappe et nous le méritons. Il n’y a qu’à se détacher du monde et de soi-même, il n’y a qu’à s’abandonner sans réserve aux desseins de Dieu. Nous en nourrissons notre amour-propre lorsqu’ils flattent nos désirs ; mais quand ils n’ont rien que de dur et de détruisant, notre amour-propre hypocrite et déguisé en dévotion se révolte contre la croix, et il dit, comme saint Pierre le disait de la Passion de Jésus-Christ : « Cela ne vous arrivera point. » O mon cher duc, mourons de bonne foi[1]. »

Cette mort « de bonne foi » fut-elle complète ? Oui sans doute, au moins d’intention, mais l’intérêt pour la chose publique continuait de subsister chez Fénelon. Dans le courant de mars, préoccupé du trouble qu’apporterait dans les affaires la mort de Louis XIV si elle survenait avant que les dispositions nécessaires fussent prises en vue d’une régence, il adressait au duc de Chevreuse trois mémoires : le premier intitulé le Roi, le second, Projet d’un Conseil de Régence, le troisième, Éducation du jeune prince. Ces mémoires montrent à quel point les bruits qui avaient circulé avaient fait impression sur la vive imagination de Fénelon. En effet, dans celui intitulé : le Roi, il considère comme très important « de redoubler sans éclat et sans affectation toutes les précautions pour sa nourriture et aussi du jeune prince qui reste. » Dans celui sur le Conseil de Régence il va plus loin : « Il n’y a aucun jour, dit-il, où nous ne soyons menacés ou d’une mort soudaine ou naturelle, ou d’un funeste accident, suite du coup que le public s’imagine venir de N… » Il se demande s’il convient d’admettre dans le Conseil de Régence « celui qui est soupçonné de la plus noire scélératesse » et de le rendre

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 313-374.