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Fénelon. Qu’étaient devenus ses mémoires ? Le Prince les avait-il conservés, ou les avait-il rendus à Chevreuse par le canal duquel ils lui arrivaient ? Fénelon l’ignorait, et s’en enquérait auprès de ce dernier, sous la forme discrète et mesurée dont il était coutumier en tout ce qui le touchait personnellement : « N’y avait-il point dans les papiers de notre très cher prince quelque écrit de moi ? N’y avait-il point de mes lettres que je lui écrivais pendant le siège de Lille ? N’y a-t-il point un reliquaire d’or, avec un morceau de la mâchoire de saint Louis, que je lui avais envoyé ? Le Roi a-t-il tous les papiers de P. P.[1]. »

Les appréhensions si vivement exprimées de Saint-Simon par lesquelles se trahit une ambition momentanément déçue, mais toujours ardente, celles, plus discrètement traduites, de Fénelon chez qui paraît dominer une mélancolique indifférence, ne devaient point se réaliser. Le dévouement de Beauvilliers à son ami, le bon esprit de Mme de Maintenon y furent pour beaucoup. Aussitôt le Duc de Bourgogne mort, Duchesne, son premier valet de chambre, avait remis au Roi la clef de la cassette où le Prince serrait ses papiers. Le dernier jour de février, le Roi vit pour la première fois le duc de Beauvilliers, que l’état de sa santé avait jusque-là retenu à la chambre, et il lui commanda d’apporter la redoutable cassette le lendemain soir, chez Mme de Maintenon. Saint-Simon, prévenu par Beauvilliers, passa toute la journée dans les transes. Beauvilliers lui avait promis que le lendemain, au sortir de chez Mme de Maintenon, il entrerait chez lui pour l’informer de ce qui se serait passé. « On peut juger, dit Saint-Simon, s’il fut attendu, et à portes bien fermées. » Avant même de s’asseoir, Beauvilliers le rassura d’un signe. Très habilement il avait commencé par lire au Roi « un fatras de toutes sortes de mémoires et de projets sur les finances et de quelques autres d’intendans de province » qui se trouvaient heureusement sur le haut de la cassette. Fatigué, le Roi lui avait dit bientôt de se borner à lire les titres des mémoires, puis, voyant qu’il n’y était question que de finances, il lui avait dit de tout jeter au feu. Beauvilliers ne se l’était pas fait dire deux fois et il s’était hâté de vider dans la cheminée le contenu de la cassette, en ayant soin de recouvrir avec d’autres paperasses le mémoire de la main de Saint-Simon, d’empêcher avec les

  1. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. Vil D. 375.