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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/67

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par sa femme, dame Antoinette, et il fit traduire devant lui les différens détenus, pour les interroger. On doit reconnaître que, en ces fonctions de juge, Mandrin inclinait à la plus grande indulgence. Celle-ci fut du moins tempérée à Roanne par le sous-brigadier de la maréchaussée, qui vint spontanément remplir auprès du bandit le rôle d’assesseur. Le sous-brigadier remontra donc au contrebandier que la plupart de ces individus, qu’il voulait rendre libres, étaient des voleurs et des assassins. Et Mandrin de réfléchir :

— Brigadier, vous avez raison.

Dans le préau commun, les prisonniers rassemblés attendaient avec anxiété que le chef des margandiers eût prononcé sa sentence. Enfin deux des compagnons de Mandrin parurent et appelèrent à voix haute : « Antoine Sauvageau dit Lebon, et Jacques Audonie. » C’étaient les deux seuls que Mandrin, en fin de compte, jugeait dignes de sa clémence. Ils étaient détenus pour rébellion contre la maréchaussée de la Pacaudière. « Audonie et Lebon se présentèrent aussitôt et se jetèrent parmi les contrebandiers. »

Joli tableau d’ancien régime : dans cette prison pleine de sacripans, confiés à la garde d’une femme, un contrebandier, chargé lui-même d’une condamnation capitale, siège, interroge et juge, avec la gravité d’un magistrat. C’est le brigadier de la gendarmerie qui lui sert d’assesseur. Les prisonniers, réunis dans la cour, se soumettent à cette autorité nouvelle, et, finalement, le procureur du Roi, dressant de ces faits le procès-verbal officiel, s’exprime ainsi :

« Comme ces sortes d’incursions attaquent plutôt l’intérêt des Fermes que le bien public, nos concitoyens, en gens raisonnables, — M. le procureur au parquet de Roanne écrit bien « en gens raisonnables, » — ont paru indifférens à leur arrivée. »

Terrier de Cléron compte, en cette seule campagne, dix villes, Bourg, Roanne, Thiers, le Puy, Montbrison, Cluny, Pont-de-Vaux, Saint-Amour, Orgelet et Seurre, où Mandrin affranchit de cette façon les prisonniers pour contrebande, pour faux-saunage, pour désertion ou pour délits analogues.

Le 10 octobre, nos compagnons vendirent de leur « faux-tabac » aux entreposeurs de Thiers et, le 12, à ceux d’Ambert. Tandis que le chef négociait, dans cette dernière ville, avec M. Lussigny, représentant des Fermes, l’un de ses compagnons